samedi 9 janvier 2016

Le jour où il a fallu placer Lalie

Un matin de décembre, j'ai rencontré Lalie*. Lalie venait de naître, elle avait deux jours de vie et venait d'être hospitalisée dans mon service, pour un syndrome de sevrage. Concrètement, ça signifie que sa maman a consommé des drogues pendant sa grossesse. Mais ça, elle l'a longtemps nié, jusqu'à ce que Lalie présente des symptôme trop graves et que la maman finisse par avouer. 
Lalie est née à terme, mais elle est toute petite. Elle est très jolie, on dirait une petite princesse tout de rose vêtu. Elle nage un peu dans ses grenouillettes. Lalie est un bébé très irritable, qui pleure beaucoup plus qu'un enfant ordinaire. Lalie a besoin, sans cesse, d'être contenue, langée, emmaillotée ... sinon, elle hurle, et ça peut durer des heures. Lalie éternue beaucoup. C'est surprenant. Lalie est sous morphine. 
Lalie a une maman complètement perdue, qui n'a pas mesuré la gravité de sa consommation, ni les conséquences désastreuses pour sa fille. Lalie a un papa dans le déni de sa propre consommation. Il a fallu travailler avec eux, sans jugement, avec leurs difficultés mais aussi leurs points forts. Il m'a été difficile de faire entendre à cette maman à quel point la situation était grave. Lalie a une maman abîmée par sa vie. Une vie pas facile, certes. Mais maintenant, Lalie est là, elle est en vie, et on doit prendre soin d'elle. 
Comme tout bébé, Lalie a besoin de parents présents, qui peuvent répondre aux besoins primaires de leur enfant. Lalie a besoin d'être en lien avec sa maman. Une maman qui a encore trop de difficulté à être dans une relation maman-bébé saine. Une maman qui ne vient pas voir Lalie de la journée, mais qui va débarquer dans le service à 2 ou 3h du matin. Une maman qui après 10 jours ne vie n'avait toujours pas réaliser certains soins, n'étant jamais là aux bons moments. Lalie a connu des jours difficiles, mais très vite, elle a repris le dessus et une sortie a pu être envisagée. 
C'est la partie pas facile de mon métier. Évaluer les choses quand il y a un enfant à protéger. Des faits, rien que des faits. Passer plus d'une heure au téléphone avec le procureur, lui expliquer les inquiétudes des médecins, des puéricultrices et du service social. Ne rien interpréter, juste énoncer les faits. Analyser. Rencontrer encore et encore les parents, pour s'apercevoir qu'ils ne sont pas prêts. Pas comme ça. Pas sans quelque chose autour. Pour le bien être de Lalie, mais pour eux aussi, pour leur parentalité. 
Signaler donc au parquet des mineurs, attendre que les services de l'enfance terminent l'évaluation - en urgence -, et recevoir l'ordonnance de placement en pouponnière. En attendant qu'un juge décide. En attendant qu'un travail se mette en place autour du lien mère-bébé. En attendant que ces parents comprennent, et arrêtent. En espérant que ces parents comprennent et arrêtent. 
L'heure de la sortie arrive. Lalie a quelques jours de vie, et elle a déjà connu le manque. Les douleurs liées au manque. Le sevrage. La morphine. Lalie ne sera jamais une enfant comme un autre. Parce que même si, normalement, les séquelles s'estompent, même si normalement, l'irritabilité et les troubles du sommeil s'effacent au fil des mois ... cet événement traumatisant, au moment de sa naissance, restera gravé en elle. 
Lalie est toujours recroquevillée sur elle même, les bras en croix. Elle ressemble à un petit koala qui cherche désespéramment à s'accrocher. S'accrocher à la vie, s'accrocher à une main protectrice. 
Lalie est partie en pouponnière. J'aurai sûrement quelques nouvelles d'elle, dans quelques jours, semaines ou mois. Mais ma mission s'arrête ici. Mettre à l'abri un enfant. 
C'est difficile de travailler ce genre de situation. C'est tellement impensable que des enfants, à peine nés, tout juste en vie ... peuvent déjà être en danger au sein de leur famille. C'est impensable de séparer un bébé de sa mère à quelques jours de vie ... même si l'on sait au fond de soi que c'est, à ce jour, la meilleure des solutions pour ce bébé, qui va devoir apprendre à se construire avec son histoire et ses bagages. 
Lalie est le dernier bébé de 2015 que j'aurai du accompagner vers un placement en pouponnière, en attendant ... en attendant beaucoup de choses ... 



*Prénom changé pour respecter l'anonymat

9 commentaires:

  1. Récit très bien écrit et très émouvant.
    On a du mal à croire que ça puisse exister. Ce doit être bien dur pour toi de devoir gérer ce genre de situation.. Ces parent-là arriveront-ils un jour à assumer leur responsabilité ?

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  2. j'ai des frissons!!
    un début de vie bien difficile pour cette toute petite...
    la drogue et sa longue descente aux enfers....

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  3. Très beau billet touchant et inquiétant.
    Cette Maman s'intéressera-t-elle à son bébé un jour? Ira-t-elle mieux? Et Lalie aura-t- elle une vie paisible, heureuse ? Que de questions angoissantes !
    Belle soirée

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  4. cela devait être d'autant plus dur pour toi que tu désires avoir ton propre enfant...

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  5. pauvre petite.....en espérant qu'elle arrive à se construire. Heureusement qu'il y a des personnes comme toi dans ce monde

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  6. Tout cela ne m'étonne pas. Mais cela n'en est pas moins tragique.
    Tu fais un métier formidable, n'en doute pas ! Que deviendraient les petites Lalie sans toi ?

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  7. Ton texte est bouleversant. Cela a du être vraiment terrible pour toi! J'imagine que tu aurais voulu prendre cette petite princesse et lui donner, TOI, tout l'amour dont elle a besoin... J'imagine que tu as dû penser - à un moment ou à un autre - que la vie était injuste, que toi qui désires tellement donner de l'amour à un bébé, tu n'en as pas, tandis que cette maman qui n'est pas capable d'assumer la maternité en a reçu un en cadeau et qu'elle le néglige... Un petit être à peine entré dans la vie et déjà placé, avec un avenir incertain.
    Dur dur de rester "neutre" dans ces conditions, je suppose.
    Je comprends que tu aies eu besoin d'en parler ici, d'extérioriser cette expérience douloureuse.
    Je ne peux que te souhaiter beaucoup de courage et de Foi... Et je ne peux que te féliciter pour le travail extraordinaire que tu fais. J'admire ton dévouement.
    Bisous

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  8. dur dur, mais ton coeur doit être fier !!

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  9. c'est tellement triste cette histoire, pauvre petite puce.

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