lundi 18 octobre 2021

Briser le tabou des 3 mois

Je n'ai jamais compris pourquoi ce tabou était si présent dans notre société. Celui de taire, de cacher, une grossesse avant minimum trois mois d'existence. J'ai pourtant moi-même baigné dans cette injonction de la société, entourée de femmes réduites au silence pendant les trois premiers mois d'une si grande et bouleversante aventure. Mais je n'ai jamais compris. 
Je me rappelle d'ailleurs du jour où j'ai appris  par ses beaux-parents, qu'une de nos amies avait fait une fausse-couche, quelques semaines plus tôt, mais qu'on devait faire comme si on ne le savait pas, car personne ne savait qu'elle était enceinte. J'ai trouvé cela si violent et triste. Non seulement cette grossesse était totalement cachée, mais en s'interrompant, c'était comme si elle n'avait jamais existé. Cette amie me parlera de cette grossesse interrompue précocement, des années plus tard, les larmes aux yeux et soulagée d'enfin évoquer à haute voix ce bébé qu'elle a espéré pendant plusieurs semaines et sa souffrance.

Credit photo : cocoparisienne


Alors pour ma part, quand est venue l'heure où nous avons souhaité devenir parents avec mon mari, nous avons pris le parti de ne pas nous laisser guider par cette injonction sociétale et de dire les choses comme on le ressentait. Ce choix, que nous avions donc fait consciemment, a pourtant été mis à rude épreuve, tant cette pression du tabou des 3 mois pesait autour de nous. 

A croire que si nous parlions de notre bonheur avant la fameuse échographie des 12 semaines, le ciel allait nous tomber sur la tête. Comme si dévoiler une grossesse précoce portait malheur au même titre que de voir la mariée avant le mariage. Et surtout, comme s'il était interdit de se réjouir d'une grossesse avant la fin du premier trimestre, sous peine de sanction de fausse-couche immédiate (ou autre malheur associé). Oui, dire qu'on est enceinte de 3, 4, 6, 8 ou 10 semaines est encore très mal vu et vécu dans notre société. 
Malgré cette pression ressentie, j'ai toujours annoncé mes grossesses au moment où je voulais l'annoncer et surtout à ceux à qui je voulais l'annoncer. Et pas par superstition. Mais par affinité. Par envie. 




Credit Photo : photo personnelle par Stéphanie Passion Photos

L'envie de se confier à ses meilleur.e.s ami.e.s, à ses parents. L'envie de faire une jolie annonce générale, originale, grandiose, inoubliable. Et puis, par besoin. Auprès de ses collègues, car il est difficile de cacher des nausées, de la fatigue et autres joyeusetés des premières semaines de la grossesse. Ou auprès de sa hiérarchie, pour préparer son absence temporaire. 

Et nous nous sommes réjouis. Après chaque test positif, nous nous sommes réjouis. Nos deux premières grossesses issues de nos FIV nous ont toutes les deux projetés 9 mois plus tard, parents de ce minuscule embryon devenu alors grand. A aucun moment je ne me suis interdite de me réjouir et de penser à cet embryon comme un bébé. Parce que pour la plupart des femmes, des parents, à partir du moment où le test est positif, il est légitime de penser au happy end neuf mois plus tard. C'est normal. C'est humain. Et surtout, ça ne rend pas la perte moins douloureuse de ne pas s'être projeté. La douleur est là, présente. Elle est physique et psychique. 

Je n'ai jamais regretté d'avoir annoncé à certains proches ces deux grossesses, parce qu'il a alors été plus simple de leur demander le soutien dont on avait besoin au moment de l'annonce de l'arrêt de la grossesse. Et parce qu'ainsi, ces deux grossesses ont existé ailleurs que secrètement dans mon cœur et mon utérus. Elles ont vécu dans l'esprit de certains de nos proches, pendant quelques semaines. 
Ces deux fausses-couches n'ont pas changé ma façon de penser. Pour les grossesses de l'Elu et de Numerobis, encore une fois, nous avons suivi nos envies pour les annoncer. 
La grossesse de Numerobis nous aura également prouvé que même au delà des 12 semaines, l'incertitude de l'avenir de la grossesse est encore plus que présente. Et nous avons malheureusement autour de nous des parents qui ont perdu leur bébé à 7 ou 8 mois de grossesse, voire à la naissance. Comme quoi, jusqu'au bout, tout peut basculer et le bébé que nous espérions si fort peut disparaître à tout jamais, emportant avec lui tous nos rêves de futurs parents. 
La solution n'est pas de se taire. Sinon, il faudrait se taire jusqu'à la naissance. 
La solution, c'est de suivre son instinct et ses envies. L'annonce d'une grossesse est quelque chose d'intime, de joyeux (dans un contexte où elle est désirée, bien entendu) et de touchant. 
Révéler sa grossesse avant trois mois permet aussi d'attendre plus sereinement la suite. Partager sa grossesse avant trois mois, c'est pouvoir confier ses angoisses, durant ce premier trimestre où on ne ressent pas concrètement la vie, seulement des signes, des symptômes voire des maux qui nous font dire que oui, on est bien enceintes et on porte la vie. Mais rien ne se voit. Ces trois premiers mois sont aussi difficiles qu'ils sont invisibles. Et je reste persuadée qu'ils seront plus légers à vivre, quelle que soit l'issue de la grossesse, si on suit son désir et qu'on s'autorise à briser le tabou. 

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