mardi 20 octobre 2015

Le jour où je te parle de mon métier d'assistante sociale

S'il y a une chose dont je suis fière dans ma vie, c'est du métier que j'exerce. Un métier choisit, un métier "passion", un métier plaisir. Un métier pour lequel j'ai galéré pendant 3 ans en formation afin d'obtenir mon diplôme d'état. 3 années très riches, avec des sacrifices (plus de weekends au ski pour cause mémoire, des nuits entières à rédiger son dossier de pratiques professionnelles, etc), mais trois années exceptionnelles, avec à la clé un joli DEASS avec une moyenne de 16,73 ! 
Alors forcément, au quotidien, je prends plaisir à exercer ce métier, même s'il y a des jours, où c'est loin d'être la franche rigolade. Parce que forcément, je rencontre des situations terribles, encore plus en bossant à l'hôpital, et donc avec des personnes malades, voire en fin de vie. Mais aussi, et surtout, parce que c'est un métier où nous avons peu de moyens. 

Et c'est en ça que j'aimerais faire tomber certains clichés. Et si je peux, à travers mon modeste blog, faire découvrir à une poignée de personne ce que c'est vraiment, que le social, et bien j'en serai ravie. Parce que bien souvent, on croit, on imagine des trucs, mais on est bien loin de la réalité. Moi-même je l'expérimente tous les jours, à travers les postes d'autres collègues, dans d'autres institutions ... 

Aujourd'hui, j'aimerais revenir sur un "fait divers" qui a fait beaucoup parler des services sociaux cet été : le procès des parents du petit Bastien, mort à 3 ans, dans un lave-linge dans lequel son père l'avait enfermé. Je pense qu'il était difficile de passer au travers de l'actualité médiatique, et ce même avec la surmédiatisation des réfugiés de guerre (mais là aussi, c'est une autre histoire, et peut-être l'objet d'un prochain article). 
Durant ce procès, les journalistes se sont fait une joie de pointer la défaillance des services sociaux, et plus précisément, du service de l'Aide Sociale à l'Enfance. Seulement, encore une fois, les médias font des raccourcis bien trop courts et très souvent erronés. 



Que reproche-t-on au juste aux services sociaux dans cette histoire ? En gros, de n'avoir rien fait. De ne pas avoir retiré Bastien et sa sœur, à leurs parents, comme ils le font pourtant de si nombreuses fois et de façon si injuste pour d'autres enfants, d'autres familles (oui tant qu'à faire, tombons carrément dans le cliché de l'assistante sociale qui enlève les enfants aux familles bienveillantes). Sauf qu'il y a erreur. Des erreurs même. Tout d'abord, les services sociaux n'ont pas rien fait, puisqu'ils suivaient cette famille, avec les moyens du bord. Un travailleur social à l'ASE a parfois plus de 30 à 35 suivis, ce qui est juste suicidaire et mission impossible, et empêche donc le travailleur social d'accompagner "à la perfection" les familles. Il fait comme il peut. Et forcément, il doit mettre des priorités sur certaines situations et en mettre d'autres au second plan. Y'a pas le choix. Le jour où il y aura suffisamment de travailleurs sociaux, là ce sera un autre débat. 
Ensuite, les médias oublient une chose importante : la réforme de la loi en matière de protection de l'enfance de 2007, qui met notamment l'accent sur l'adhésion des parents. Alors bien sûr, on est d'accord, y'a des situations où justement, la protection de l'enfant prend le dessus sur la non-adhésion des parents, mais n'empêche que c'est ce qu'on nous demande. C'est la loi. On doit travailler en partenariat avec les parents, réussir à obtenir leur adhésion pour mener à bien le projet éducatif. Et ça, croyez-moi, c'est ce qu'il y a de plus difficile. 
Mais enfin, l'élément le plus essentiel à mes yeux, c'est surtout d'arrêter de croire que nous avons tous pouvoirs. Au contraire, j'ai même envie de dire que nous n'en avons aucun. Car ce n'est pas à nous que revient la décision de placer ou non un enfant, de le retirer de son environnement familial. Nous, on doit juste faire des rapports, les plus objectifs possibles, et les transmettre au parquet des mineurs. Si aucun procureur ou aucun juge des enfants ne nous suit, pour X raison, l'enfant reste dans sa famille, et on peut juste essayer de faire en sorte de limiter les dégâts. 
Le travailleur social qui s'est occupé du petit Bastien est marqué à vie par cette histoire. Parce qu'il y a eu de nombreux signalements et de nombreuses informations préoccupantes, mais que justement, il n'y a jamais eu d'aboutissement judiciaire derrière. Et que face à la justice, on est tout petit. 

J'ai la chance d'exercer en néonatalogie et d'être ainsi protégée. Parce que quand je dois malheureusement faire un signalement au procureur (oui, même dès la naissance et hospitalisé, un enfant peut être en danger avec ses parents), le Proc me suit toujours. Il fait confiance en mon évaluation, et il protège l'enfant qui est d'autant plus fragilisé par la prématurité ou la maladie. Mais certaines de mes collègues font face plus souvent à des refus, et des enfants, même à quelques jours de vie, sortent dans la rue, ou retournent au foyer avec un père violent tandis que la maman est hospitalisée suite à des violences conjugales. Oui, il y a des loupés. Oui, il y a des absurdités. Mais malheureusement, ça se saurait si nous, les assistantes sociales, nous étions des fées ! 

Par contre, toi, tu peux faire quelque chose. Tout citoyen se doit de signaler les situations d'enfance en danger, quand il en est témoin. Et sans pour autant en abuser, il ne s'agit pas de dénoncer pour le plaisir, l'ex-belle-soeur qui a mis une fessée sur la couche de son enfant, ni son voisin parce que son enfant crie toute la nuit sûrement à cause des dents ou des coliques, il est important de faire remonter toutes ces situations, quand il en est encore temps, et pas au moment où les journalistes viennent interroger les voisins de la mère de famille qui viendra de faire sauter la cervelle de ses 3 enfants parce qu'elle était à bout. 



J'aimerais aussi faire tomber le cliché justement de l'ASS en protection de l'enfance, la méchante ASS, qui retire que les enfants des bonnes familles et laissent les autres être  maltraités. Parce qu'un travailleur social qui intervient dans une famille pour une mesure éducative, c'est avant-tout pour aider cette famille, pour que chacun trouve sa juste place, et qu'un placement soit évité. Oui, une mesure éducative peut-être positive. Et non, ça ne concerne pas que les "cas-soc' ". Mais ceci est une autre histoire ...

4 commentaires:

  1. Tout n'est pas que cliché heureusement pour toi
    Tu es dans la vraie vie, dans la dure réalité
    Bises et courage

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  2. j'ai beaucoup aimé ton article, c'est toujours intéressant de voir l'autre côté d'un métier, ce n'est jamais tout rose....et encore moins dans ton métier, avec tous ces jeunes enfants qui partent avec de tels handicapes das la vie!... merci pour ton partage et surtout continue à partager, c'est comme cela que les mentalités ont des chances de changer ou d'évoluer!

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  3. Honnêtement, moi, quand j'ai entendu parler de cette histoire, ma première réaction ça a été : "Mais comment une mère a-t-elle pu laisser faire une telle chose ??". Et je m'interroge sincèrement sur la problématique psychologique qui a pu amener cette femme à ne pas s'opposer à son mari lorsqu'il a mit son enfant dans la machine !!
    Je n'ai pas songé aux services sociaux. Pas tout de suite. Et lorsque je me suis posé la question, ma réponse à moi-même ça a été de me dire que de toute façon, on ne sait pas ! Quelles étaient les infos réelles que possédaient les SS ? Que savaient-ils au juste de la situation ? Quelle était leur marge de manoeuvre réelle ?..
    Avec ton article, tu prêches à une convaincue. Je sais que les SS ne font pas toujours ce qu'il voudraient pouvoir faire. Je sais aussi qu'ils ne sont pas omniscients, ni médiums, ni super-heros. Ils font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont, du mieux qu'ils le peuvent. Je sais aussi qu'il n'est pas toujours facile d'anticiper de quel façon le vent va tourner.

    Et qui ?? sérieusement "Qui" ? aurait pu prévoir une chose pareille ????
    J'espère sincèrement que la personne qui avait la charge du dossier parviendra à s'en relever et qu'elle pourra continuer à exercer son métier avec le même courage et le même espoir qu'avant. Ce qui s'est produit est dramatique, mais c'est UN cas.. combien de famille cet ASS a-t-il déjà sorti du gouffre ? Combien d'autre parviendra-t-il à aider encore ? Je lui souhaite bon courage et à toute la profession également.
    Merci d'être là et de faire autant avec si peu.

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  4. Voilà, je suis venue lire ton article qui est formidable. C'est vrai qu'il y a pas mal de préjugés sur les services sociaux, mais je pense aussi que beaucoup de gens comprennent que c'est le système judiciaire qui est en cause dans la majorité des drames comme celui que tu cites... J'ai lu, il y a peu, le livre "La Maladroite" de la Rentrée Littéraire. En dehors du fait de savoir si ce livre est un plagiat ou non des comptes-rendus d'audience, il démontre bien l'impuissance des services sociaux confrontés à des lois absurdes. Particulièrement celle de l'adhésion parentale...: à chaque torture découverte, les directrices, assistantes, etc. sont obligées d'en parler aux parents avant de faire quoi que ce soit!!! C'est tellement aberrant!! Les parents nient, esquivent, mentent de façon sinique et finalement s'enfuient en déménageant sans laisser d'adresse (dans le cas rapporté par le livre, qui est un cas REEL - voir mon article à ce propos "rentrée littéraire 2015"). On a envie de crier: "Non, surtout ne dites rien aux parents!!! Envoyer les flics les cueillir et les enfermer!!! Coups et blessures, c'est un délit!!"
    C'est horrible. La justice humaine est horrible.
    Vous, les travailleurs sociaux, vous avez du mérite, vous ne faites pas un métier facile et vous n'êtes pas vraiment aidés... Bravo pour ton article. Bisous

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