mardi 27 janvier 2015

Le jour où cette maman a pleuré dans mes bras.

Il y a un an quasiment jour pour jour, je rencontrais Mehdi*. Mehdi est jeune, il a à 18 ans 1/2 et il vient d'Algérie. Là bas, on lui a diagnostiqué une belle merde ... une maladie hématologique qui vous fait vous rendre compte, tout à coup, que la vie est précieuse et que la santé est ce qu'il y a de plus primordial dans la vie. Mehdi est venu vivre en France, chez ses oncles, parce qu'en Algérie, il n'existe pas de traitement adapté à sa pathologie. Il a alors laissé ses parents et frères et soeurs, et comme un grand, il a pris l'avion. Il a débarqué dans une grande ville où il ne connaissait que ses deux oncles. Je l'ai rencontré pour la première fois un matin d'hiver. Il faisait froid dehors. Son oncle était avec lui, il s'occupait de tout pour lui. Un soutien à toute épreuve. Mehdi était touriste et devait donc payer sa chimiothérapie. L'hôpital lui a fait un devis. On n'imagine pas vraiment, quand on a la chance d'avoir la Sécu, combien ça coûte, la chimio ... On n'imagine pas que pour une cure, on débourse parfois jusqu'à 16 000€ ... Mais la famille a accepté. Ils ont fait un appel aux dons dans toute leur famille, et les parents de Mehdi ont vendu des terres en Algérie. Et puis, un jour, nous avons pu faire la demande de titre de séjour. Mehdi avait le sourire quand on a rempli les papiers. Il m'a bien écouté, son oncle a tout noté ce qu'il devait faire comme démarche, car n'oublions pas, c'est un vrai parcours du combattant ... Et il est entré réellement dans les soins. 

Mehdi a un beau sourire, il est gentil. Il ne nous contrarie jamais, il dit toujours que tout va bien, il ne se plaint pas. Ses oncles sont des hommes exceptionnels. C'est là qu'on voit à quel point la famille, c'est sacré. C'est là qu'on voit à quel point une famille, ça peut déplacer des montagnes pour vous. Medhi, il a de la chance de les avoir. Il ne parle pas beaucoup, mais il sourit. Et il me fait toujours signe de la tête. Un signe qui veut dire oui. Avec le sourire. Mais moi, derrière, je vois sa souffrance. Je vois sa douleur et sa crainte. Parce qu'à 20 ans, on a la vie devant soit. On rêve du métier que l'on fera plus tard et de la femme que l'on aimera. A 20 ans, on est vivant, on fait du sport et on sort avec les copains. A 20 ans, on ne devrait pas rester enfermé dans une chambre d'hôpital stérile 3 semaines par mois, et ne pas oser sortir de chez soi la quatrième semaine. A 20 ans, on ne devrait pas visiter uniquement les hôpitaux de la ville dans laquelle on vient de s'installer. A 20 ans, on ne devrait pas avoir à quitter ses parents pour aller tenter de guérir de l'autre côté de la mer ... 

Et puis les mois ont passé. Le traitement a fait effet. On a espéré. Et au moment de la greffe, c'est là que tout a basculé. Mehdi ne répond pas. Il est réfractaire au traitement. Des mots qui sonnent durs, des mots qui font mal. Mehdi, il n'y est pour rien si cette putain de chimio, qui le détruit, ne fonctionne pas. Mehdi, il n'a pas demandé ça. Mais le Professeur continue d'y croire. Ses oncles continuent d'y croire. Mehdi y croit. C'est important. Il a l'espoir. Ça se voit dans son regard, dans son sourire. Alors, on continue. On continue à se battre à ses côtés. Lui, il se bat contre la maladie, et nous contre l'administration. On remplit des dossiers, on les envoie, on les remplit à nouveau quand on nous dit qu'ils ont perdu le dossier, on les ré-envoie. On garde patience. On répond présent quand les oncles appellent. On se bat avec l'hôpital pour faire venir sa soeur. Puis sa mère. On vit un peu à travers lui. Et puis, arrive le verdict. Celui qui fait qu'il entre dans un nouveau protocole. Un essai thérapeutique. Ou un truc du genre. Le truc de la dernière chance, sans assurance que cela fonctionnera. Mais Mehdi, il y croit lui. Quand je lui parle de retourner en Algérie, il me dit que sa vie est ici maintenant. J'ai la gorge qui se serre. Je ne lui dis rien. Il a besoin d'avoir l'espoir.

Et puis, et puis voilà. Finalement, la maman de Mehdi est revenu. Elle était déjà venue il y a quelques semaines, pendant mon voyage de noces, je ne l'avais pas vu. Elle est de retour, parce qu'elle sait. Les médecins lui ont dit. C'est fini, il n'y a plus d'espoir. Mehdi ne le sait pas. Peut-être le ressent-il au fond de lui ? Je ne sais pas. Mehdi est sous oxygène, mais quand ce midi, je suis rentrée dans sa chambre, j'ai vu son sourire à travers le masque. Sa maman était à son chevet. Elle a dormi dans sa chambre cette nuit. Elle va rester jusqu'au bout. Elle ne quitte plus l'hôpital. Elle ne quitte plus la chambre. Elle était à son chevet, et elle priait. Nous sommes allées parler au calme, loin de Mehdi, dans la salle d'attente. On a parlé, de tout, de rien. Mais on a surtout parlé de Mehdi. Que c'est injuste. Que c'est triste. Que c'est trop dur, même pour nous. Cette femme, sa maman, que je n'avais alors jamais vu, m'a sourit. On a continué à parler de lui, de Mehdi, de sa famille restée en Algérie. Veut-il retourner dans son pays ? Son père va-t-il venir en France lui dire un dernier adieu ? Et puis, elle s'effondre. Elle pleure, et moi j'ai les larmes aux yeux, mais je ne dois pas craquer. Je me mors l'intérieur des joues, et je lui prends la main. On se lève, et là, elle me prend dans ses bras, et me serre fort. Elle me remercie. Pourquoi ? Je n'ai rien fait moi ... Et je ne peux rien faire ... 
Quelques minutes plus tard, ses oncles arrivent. Mehdi est entouré, il ne partira pas seul. Et puis je vois sa mère, à nouveau. Elle pleure. Elle a mal. Mais elle n'a pas de morphine, elle. Ça existe pas, la morphine pour apaiser les parents en train de perdre leur enfant. Et elle tombe par terre ... 

Il est 20h34, j'ai quitté le boulot la tête en vrac. Mehdi m'a accompagné tout le long du chemin retour. J'ai chanté à tue-tête. Il est 20h34 et je pense à lui, espérant ne pas arriver demain et apprendre que le drame s'est produit. Même si c'est inévitable, j'en viens à me dire " Non, je ne veux pas qu'il meurt ". Demain, je vais arriver en réunion, et espérer que son nom sera encore écrit sur ma file active. Je veux revoir une dernière fois son sourire. 



* Prénom changé afin de préserver l'anonymat

8 commentaires:

  1. C'est affreux, je pense fort à lui et à toute sa famille, sans t'oublier bien sur
    Tellement injuste
    Bises

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  2. Tu fais un métier très dur. Ce jeune garçon est très courageux! putain de cancer de merde! :(

    cerise

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  3. Bonjour, je lis ton blog depuis des années, mais je n'ai jamais laissé de message, par timidité peut être? Mais aujourd'hui, je me force pour te dire que ton billet m'a mis les larmes aux yeux. Je ne veux pas parler de Mehdi, mais de toi. Tu es exceptionnelle, tu as aidé une famille dans le moment le plus affreux et ils ne t'oublieront jamais. Il n'y a pas besoin de cape pour être un super héros.... Alors merci à toi.

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  4. C'est insupportable, aucune maman ne devrait jamais voir mourir son enfant.

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  5. C'est vraiment très dur...en pensée avec toi et avec eux!

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  6. Quel métier difficile tu fais...je te comprends, on a envie de pleurer avec eux, d'espérer... c'est tellement injuste
    je pense fort à eux, à vous...

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  7. Je me reconnais totalement dans ton témoignage... Combien de fois j'ai eu les larmes aux yeux en discutant avec des familles? Combien de fois suis-je rentrée à la maison avec ces paroles et ces images dans la tête? Personnellement, je pleure, beaucoup, toujours, c'est ce qui me fait avancer !!
    Bon courage. Bisous.

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  8. pouah, ces ont des histoires qui ne devraient pas avoir lieues

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