vendredi 19 février 2016

Le jour où je me suis fâchée pour elle

Je l'ai rencontrée une première fois. Une "mamie" parmi tant d'autre, à l'hôpital. Je devais juste vérifier que tout était en place pour le retour à domicile. Un simple entretien. La dame n'avait pas vraiment besoin de moi. Elle vivait déjà en foyer-logement, prenait ses repas le midi au foyer, avait une femme de ménage, des infirmières, un kiné. Bref, tout roulait. Pas besoin de me lancer dans le dossier d'APA. Pas besoin de parler de maison de retraite et finances. Tout était déjà en route. 
On a juste parlé. Papoté un peu. Je n'ai pas fait grand chose pour elle, mais elle était contente et m'a remerciée. Je suis revenue la voir le jour de sa sortie, je lui ai souhaité un bon retour et je lui ai laissé mes coordonnées, au cas où. 

Les mois ont passé. Cette mamie a continué à venir régulièrement pour ses chimiothérapies. Je l'ai revu 6 mois plus tard. Elle m'a complètement chamboulée. Je ne l'ai pas reconnu. C'était elle, sans être elle. Si j'ose dire, elle n'était que l'ombre d'elle-même. Elle avait perdu plusieurs kilos. L'âge se voyait sur son visage, ses traits, sa peau. Elle était ralentie mais avait encore toute sa tête. C'est elle qui avait demandé à me voir. Parce qu'elle n'en pouvait plus, qu'elle était à bout. 
Quand je l'ai vu, je lui ai fais une promesse. Une promesse que je ne fais jamais, car je n'ai jamais le dernier mot, malheureusement, face à un médecin. Mais cette fois, je lui ai faite. Je lui ai promis qu'elle ne quitterait pas l'hôpital avant d'avoir un endroit où aller se reposer, en convalescence. 

Je me suis donc lancée dans des recherches de Soins de Suites et de Réadaptation, les fameux SSR, dans mon jargon. J'ai eu l'appui de la cadre de santé, et même des internes. Eux aussi avaient vu son état, et eux aussi pensaient comme moi. Cette dame avait suffisamment souffert. 
Comme elle était sur le service de semaine - qui ferme donc le vendredi -, la cadre de santé l'a mutée dans le service conventionnel, pour qu'elle puisse attendre une place en SSR. J'étais en veine, nous avions un accord de principe avec un hôpital gériatrique proche de l'hôpital. 
Parce que son problème, à cette mamie, c'était la distance. Sa maladie la fait souffrir au point où les transports sont insupportables. Elle a plus d'une heure de trajet, en ambulance, certes, pour venir. Une heure de torture. Je lui avais donc promis de trouver un endroit proche de là où elle se fait soigner. Nous étions tous d'accord. 
Malheureusement, le premier SSR gériatrique nous a fait faux bond. Et là, ça a été panique à l'hôpital. Comprenez par là qu'il y avait un lit à vider, et vite. J'ai donc redoublé d'effort pour trouver l'endroit idéal pour cette dame. Et d'un coup, sorti du chapeau, j'apprends que finalement, la patiente va partir le lendemain, dans un autre hôpital, loin, bien loin de celui-ci ... On m'a assuré que la patiente et sa fille étaient d'accord, que ça avait été vu avec le médecin.
C'est peut-être là que j'ai fait une erreur. J'ai cru à cette version. Naïvement.
Quand le gériatre d'un autre SSR m'a appelé, pour me dire qu'il était d'accord pour accueillir ma petite mamie, je lui ai gentiment répondu que le service avait un autre projet pour elle. Je l'ai remercié de m'avoir rappelé, et il m'a confirmé que l'orientation que j'avais pensé pour cette dame âgée était la meilleure. 
Je m'en rappelle encore, un vendredi matin, j'étais en vacances le soir même. J'entre dans la chambre de cette mamie, pour lui dire aurevoir. Naïvement, encore, j'entre gaiement en lui disant " Alors madame X, vous partez aujourd'hui, vous êtes contente ? Alors dites moi, vous allez où au final, parce que j'avoue que j'ai pas trop compris ? " Et là, à son regard, j'ai compris. Elle s'est renfermée et m'a dit " Ne remuez pas le couteau dans la plaie ". Le couteau, je l'ai reçu moi aussi. Sa détresse s'est accrochée à moi, et j'ai commencé à m'énerver. 
Je suis sortie, furieuse, hors de moi, comme une folle ... de sa chambre, et j'ai foncé dans le bureau du cadre de santé, pour avoir quelques explications. Je passerai l'épisode en question, on va parler de mon devoir de réserve ... mais sachez que ... ;-)Furieuse, à nouveau, je suis sortie, et je me suis précipitée sur le téléphone pour avoir sa fille. 
Et c'est finalement l'attitude de cette fille qui m'a le plus achevée ... parce qu'un cadre de santé incompétent, c'est une chose ... mais une fille ... envers sa mère ... c'est autre chose. Et si je suis tout à fait en mesure d'entendre l'épuisement des aidants familiaux, leur fatigue & autres maux ... j'ai du mal quand j'entends certains discours ... "Je ne supporte plus ma mère, je ne suis pas sa mère, elle se débrouille", "Elle ne sait jamais ce qu'elle veut", "Je ne sais même si elle en rajoute pas au niveau maladie ...". Et j'en passe. 
Alors, là aussi, j'ai failli. Et j'ai dit quelque chose que je ne me serai certainement pas permis d'ordinaire ... Je lui ai répondu que quelle que soit son histoire avec sa mère, la maladie est là et visible, et qu'elle tue sa mère à petit feu et douloureusement. Je lui ai dit que si elle ne voulait plus gérer sa mère, c'était une chose, et que j'étais là aussi pour la soutenir. Mais que je ne pouvais pas entendre que l'on envoie une personne âgée et malade, à Tataouinelesbains, parce que ça arrange tout le monde, sauf la personne concernée. Et j'ai raccroché. 
Je n'ai rien pu faire de plus. Les ambulanciers étaient déjà là quand je suis entrée dans sa chambre, à la base pour lui dire aurevoir, simplement. Je me suis sentie impuissante. Je m'en suis voulue, de ne pas avoir cherché à comprendre ce qu'il se tramait. J'en ai voulu à ce cadre de santé, qui a rejeté la faute sur un autre, parce que ce n'est jamais sa faute. J'ai eu mal pour cette dame qui, à la fin de sa vie, s'est sentie abandonnée par sa fille, déplacée comme un pion par l'hôpital ... 
Je ne sais pas comment va cette mamie aujourd'hui. Peut-être est-elle toujours en vie, peut-être pas. Peut-être a-t-elle pu enfin être entendue. 
Je n'oublierai jamais cette mamie. 

* J'ai du me contenir pour écrire cet article. J'ai du me retenir. Car j'ai vraiment eu la haine. J'ai insulté certaines personnes. Je continue à ruminer aujourd'hui. Je garde cette histoire en tête, en mémoire, pour ne jamais oublier. Pour pouvoir la citer en exemple, quand un jour, à nouveau, face à une "pauvre" maman, un cadre, un médecin, une fille ... n'importe qui ... déciderait de ne pas écouter une vieille dame ... Je n'ai pas digéré ce départ. 

4 commentaires:

  1. On va commencer par un calin, si tu veux bien.
    Ensuite, je vais te dire que je comprends ta colère et que le mieux à faire, désormais, c'est de conserver cette malheureuse affaire dans un coin de ta mémoire, non pas pour te torturer, mais pour gagner en expérience et en "méfiance".
    Je compatis, j'espère que cette histoire ne te tortureras pas trop longtemps et que tu parviendras à tourner la page.
    Maudis soit les incompétents ! Maudis soient les "je-m'en-fous-je-veux-juste-me-débarrasser" !
    Je te souhaite du courage pour continuer malgré ces gens-là à faire ton boulot avec professionnalisme et avec coeur. Bises.

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  2. c'est ce qui s'appelle se donner à cor et à cris!

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  3. Oui, j'imagine que dans ton travail tu dois parfois être confrontée à des situations "insupportables". Ce n'est pas facile à gérer. Je comprends ta douleurs et ta colère. Parfois, on se sent si impuissants!! Mais tu fais le maximum pour aider ceux qui en ont besoin... C'est remarquable. Bon courage. Bisous.

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  4. quelle triste expérience!!! on voit que tu aimes ce que tu fais et que tu es faite pour aider les gens, ne perds jamais ta niak !!!

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