mardi 13 décembre 2016

Le jour où "j'ai pas besoin de voir une assistante sociale"

Le métier d'assistant de service social (car oui, c'est la vraie dénomination de mon métier ... et non pas juste "assistante sociale") est certainement l'un des métiers qui se traînent le plus de clichés depuis la nuit des temps, ou du moins depuis sa création. Je ne vous ferai pas aujourd'hui un historique de ma profession, ni même la liste de tous les clichés tenaces ... je vous réserve un article spécial cliché pour bientôt ... je vais vous parler aujourd'hui de toutes ces (trop nombreuses) fois où j'ai accompagné et aidé des personnes qui n'avaient, selon elles, pas besoin de voir l'assistante sociale ... 
Pour replanter un peu le contexte, je suis assistante socio-éducatif dans un hôpital public et je travaille dans deux services complètement différents : en hématologie - avec un public adulte de 18 à 98 ans, atteints de lymphomes, myélomes ou autrement dit des cancers du sang (pour faire simple), type leucémie ... ; et en néonatalogie - avec donc de très jeunes nourrissons, nés prématurés et/ou malades, porteurs ou non d'un handicap dès la naissance et par extension, avec leurs parents ... car mes petits patients sont bien trop petits pour faire appel à moi directement :) 



En tant qu'assistante sociale hospitalière, je sers à beaucoup de choses, même si je suis une fonctionnaire, je suis peu souvent derrière mon bureau à me tourner les pouces. Et même si je ne suis pas médecin, je participe mine de rien à la prise en charge globale du patient, surtout en cancérologie, et je permets ainsi de faire de la prévention, de limiter les impacts de la maladie au niveau de l'environnement socio-professionnel du patient ... Entre autre. Mais là aussi, ça mériterait un article à lui tout seul pour vous dire à quoi je sers vraiment ... 

Mais parlons un peu de Monsieur A ... 56 ans, cadre depuis plus de 25 ans, marié à une épouse entièrement dévouée et au foyer, père de 3 enfants en ménage et/ou en études secondaires. Monsieur A. vient d'être diagnostiqué. Il a un lymphome agressif (comme si un cancer pouvait être autre chose qu'agressif). Il est donc en arrêt maladie, depuis 3 semaines, et je viens le voir pour faire une évaluation sociale afin de l'informer et de prévenir d'éventuels risques que ce soit au niveau professionnel ou personnel. Quand je me suis présentée à Monsieur A., il m'a regardée, terrifié de voir débouler dans sa chambre une assistante sociale. C'était comme si je l'insultais. Il n'est pas un cas soc', il n'a pas besoin de moi et puis de toute façon, il n'a jamais eu droit à rien. Monsieur A. n'est pas le seul à me sortir sa grimace "merde qu'est-ce-qu'elle me veut l'assistante sociale" et donc je ne me démonte pas et je lui balance malgré tout 2/3 infos, rapido et ni vue ni connue, je lui refourgue ma carte, me mettant à sa disposition. Moins de 3 mois plus tard, Monsieur A. me rappellera. Il se sera souvenu que je lui ai parlé d'une aide ménagère pour lui et son épouse si jamais sa chimio le fatiguait trop. Il se sera rappelé que je lui avais parlé de son prêt immobilier et que je lui avais dis de se renseigner auprès de son employeur pour savoir combien de temps il aurait un maintien de salaire. 3 mois plus tard, nous y sommes. Monsieur A. est épuisé par sa chimio, sa parfaite femme au foyer au bord de la dépression nerveuse, son employeur ne lui verse plus de complément de salaire et son prêt immobilier pèse trop lourd dans son budget diminué de moitié ... Monsieur A. n'est pas un cas soc', loin de là. Monsieur A. est malade et à cet instant là de sa vie, il aura alors besoin de voir une assistante sociale. 

Madame B. est âgée. Elle a 85 ans, elle est mariée mais son mari est tout aussi âgé qu'elle. Sa chimio l'épuise. Les médecins m'informent que Madame B. ne pourra plus rentrer à domicile. Il faut faire des demandes de maison de retraite. Alors je vais voir Madame B. Sa fille est présente et se braque. Comment ça une assistante sociale ? Merci mais non merci, on n'est pas des cas soc', on s'débrouille. Je m'incline, en reprécisant pourquoi je venais les rencontrer, je dépose ma carte et me sauve ... moins de 2 jours plus tard, la fille me rappelle et me demande de l'aide parce qu'elle ne sait pas comment faire pour les maisons de retraite. Madame B. et sa fille ne sont pas des cas soc'. Madame B. est en perte d'autonomie et à cet instant là de sa vie, elle et sa famille auront alors besoin d'être accompagnés dans leurs démarches, parce qu'entrer en EHPAD, c'est une sacrée aventure ! 

Bébé C. est né à 29 semaines. Il est prématuré, suite à une amniocentèse pour déceler une éventuelle trisomie 21. S'il avait eu une T21, ses parents auraient souhaité une interruption médicale de grossesse, parce qu'ils ne se voyaient pas avec un enfant handicapé. Mais Bébé C. est arrivé avant même que les résultats ne soient donnés et il n'est donc plus question d'IMG. Il est bel et bien vivant. Ouf, premier soulagement des parents 5 jours après sa naissance, il n'a pas d'anomalie chromosomique. Mais les jours passent, et Bébé C. ne va pas mieux. L'hospitalisation perdure, Bébé C. ne prend pas bien ses biberons, ses parents ne vont pas bien et je me propose de les rencontrer, pour discuter, pour voir si je peux les aider ... Mais ils me disent que "non merci, ça va on n'a pas de problème". Je n'insiste pas, je laisse juste la porte ouverte. 2 semaines plus tard, la pédiatre diagnostiquera une maladie à Bébé C., qui explique pourquoi il ne prenait pas bien ses biberons. Bébé C. est donc porteur d'un handicap, il ne pourra pas être gardé de façon classique à la crèche ou chez une nourrice. Il aura des opérations, des rendez-vous médicaux. Il sera encore à l'hôpital au moment de la reprise de travail de la maman. La pédiatre leur a parlé d'AJPP mais c'est quoi cette chose ? Ah, et puis du coup, si la maman bénéficie des AJPP, elle aura une baisse de salaire, mais comment vont-ils faire financièrement ? En plus, ils viennent d'acheter une maison. Et maman de Bébé C. est cadre, son employeur attend son retour. Est-ce que papa de Bébé C. peut prendre les AJPP ? Et puis ça devient fatiguant les trajets quotidiens de la maison vers l'hôpital. ça coûte aussi cher, plus de 1500€ en 3 mois d'hospitalisation. Alors finalement, non ça ne va pas si bien que ça et on a besoin de vous. Bébé C. et ses parents ne sont pas des cas soc'. Bébé C et ses parents font face au handicap de Bébé C. et ils aurons donc besoin d'une oreille attentive et d'une personne pour les accompagner dans le périple du quotidien de parents d'enfant porteur d'un handicap. 

Bébé D. est née avec 6 semaines d'avance. Ses parents habitent à 250 km du service de néonatalogie où elle est hospitalisée. Elle a un grand frère, de 2 ans, qui ne va pas à l'école. Ses parents n'ont pas de famille près d'eux. Ils ne savent pas comment faire pour gérer la situation. Leur Bébé D. si fragile, hospitalisée et qui a besoin d'eux ... leur petit garçon de 2 ans qui est gardé la journée en crèche et qui a besoin d'eux ... et les 250 km qui les séparent ... Alors, quand je me suis approchée d'eux et de la couveuse de Bébé D., même s'ils ont eu un mouvement de recul, une sorte de grimace même en me voyant arriver, ils ont compris qu'ils n'étaient pas des cas soc' mais qu'aujourd'hui, Bébé D. et eux-mêmes avaient besoin d'un coup de pouce pour les aider à s'organiser pendant les 6 semaines à venir. 

Je pourrais faire le tour de l'alphabet, car il y a aussi des Madame E, des Monsieur F et des Bébés G ... H, I, J, K, L ... 
Chaque jour, je rencontre des personnes qui jusqu'à présent n'avaient jamais eu besoin d'un travailleur social, et surtout pensaient ne jamais en avoir besoin. Mais la vie n'est pas un long fleuve tranquille et peut à tout moment mettre sur nos chemins des épreuves qui nécessitent l'intervention d'une fameuse assistante sociale qui ne fait pas que donner des aides aux bénéficiaires des minima sociaux ni placer les enfants ! Alors, souvenez-vous qu'un jour, peut-être, votre chemin croisera celui d'une assistante sociale ... et ce jour là, si vous pouviez penser à accepter la main que l'on vous tend ... 

* Article proposé également sur ma page Facebook ... si ce n'est déjà fait, pourriez-vous me donner un petit coup de pouce et liker ma page, la partager et ainsi diffuser au plus grand nombre !

2 commentaires:

  1. Voici un article absolument exceptionnel! Bien entendu, il va falloir le mettre dans ton livre! Car oui, il faut ABSOLUMENT que tu l'écrives, ce livre. Cet article pourrait en être le prologue! J'ai hâte de lire tous tes autres articles à venir sur le sujet. C'est vraiment passionnant, très émouvant et surtout très instructif (comme toujours).
    Surtout ne lâche pas ce projet!!! Au boulot!!! ;) ps: dommage, je n'ai pas Facebook, mais je te like ici, entre nous!!!

    RépondreSupprimer
  2. c'est un métier humain tellement passionnant!!
    j'aime comme tu retraces les choses avec un grand professionnalisme,on sent que tu es là, bien présente, à disposition en prenant garde de ne pas braquer les bénéficiaires
    j'aimerais travailler à tes côtés ;)

    RépondreSupprimer

Un petit mot, un merci !