Le jour où on est entré dans le cercle des VIP

Au  début, on pousse la porte du centre un peu craintifs, on marche sur des oeufs, on est complètement paumés ... On se scrute dans la salle d'attente, on guette le moindre signe, le moindre mouvement des uns et des autres. On attend chaque rendez-vous avec impatience, on a une liste de questions longue comme le bras. Mais tout ça, c'était au début. 

13 mois plus tard, le monde de la PMA n'a (presque) plus de secrets pour nous.Surtout pour moi. 

13 mois, soit 11 cycles de stimulations plus ou moins intenses, 3 cycles d'inséminations artificielles - tellement artificielles qu'elles ne donneront rien -, et (enfin) un premier cycle de FIV. 

La FIV, c'est un peu comme le Saint Graal ! L'étape ultime de ce parcours PMA. L'étape finale, ou du moins que l'on espère finale et surtout concluante. Car après, on garde malgré tout en tête, qu'il n'y aura plus rien. Ou du moins, qu'il faudra partir sur un autre projet tout aussi long et éprouvant - l'adoption. 

Alors, quand on touche du bout du doigt la FIV, on entre chez les VIP. 

C'est devenu un rituel. 

Tes règles arrivent, tu n'es même plus déçue. Tu n'as même plus le temps de t'apitoyer sur ton pauvre sort, car tu sais que le lendemain, tu iras voir le gynéco. Oui, les moments en tête à tête avec ton gynéco vont désormais rythmer ta vie. Tu y vas sans crainte. Tu sais où déposer ta feuille de suivi, tu sais juger à quelle heure tu vas passer au vue du monde déjà dans la salle d'attente, tu sais que tu peux aller t'inscrire pour ta prise de sang pour gagner du temps - il est loin le temps où tu attends sagement ton tour pour l'écho puis où tu attends ton tour au labo ... maintenant tu sais comment aller plus vite, parce que tu es une VIP. Tu sais même reconnaître qui est le gynéco d'astreinte rien qu'à ses pas, et tu ne te trompes jamais. 

Le gynéco en question te connait et te reconnait. Vous êtes désormais des intimes. A force de se voir, faut dire, tu le vois plus souvent que tes meilleures amies ... Une fois dans la salle d'examen, tu ne prends même plus la peine de t'asseoir, tu retires immédiatement ton jeans et tu écartes les cuisses. Exit la pudeur, quand tu es une VIP, tu pratiques l'écho endo-vaginale avec talent et tu arrives même à cacher ta douleur, même quand ton copain le gynéco appuie tellement sur un ovaire que tu as envie de lui faire bouffer sa sonde. Et comme avec la FIV, tu as ta carte fidélité, ta carte de VIP, tu sais qu'après chaque écho, on te demandera de revenir, dans 3 ou 4 jours, pour refaire tout ce petit cinéma. Tu seras tellement VIP, que parfois, le gynéco te passera des petits coups de fils, pour te dire que ton taux de machintruc est trop bas, qu'il faut donc continuer les piqûres. 

Ah, les piqûres ! Là aussi, tu deviens une vraie pro. Enfin, ton mari. Car là pour le coup, même après 13 mois de piqûres quotidiennes, je ne suis pas prête à me piquer moi même. C'est psychologiquement impossible. C'est donc au mari d'enfiler la tenue d'infirmière et de piquer tous les soirs ... Une ou 2 injections, allons y gaiement ! Après tout, c'est tellement banal, de se piquer dans le gras du bide tous les jours pour faire un bébé. Non, c'est un truc de VIP ça ! C'est pas donné à tout le monde d'avoir la chance de s'injecter des hormones tous les jours. 

Pour continuer sur le mari, lui aussi, est un VIP. Désormais, le passage au labo pour le don de sperme fait partie aussi de sa routine. Il sait qu'une fois par mois, il a rendez-vous avec un petit flacon stérile et des magazines olé-olé pour faire sa part du marché. Parce que bon, même VIP, on fait cet enfant à deux. De cette façon, il a l'impression d'être utile. 

Quand tu es VIP, tu rencontres le biologiste, qui t'explique ce que tu sais déjà, car tu t'es déjà tellement renseigné que tu es devenue aussi experte que lui. Tu rencontres aussi la coordinatrice des FIV, qui t'appelle pour prendre de tes nouvelles, te rappeler tes rendez-vous, prendre tes rendez-vous. C'est chouette d'avoir une assistante. C'est vraiment cool d'être VIP. 

C'est bizarre, d'être VIP. C'est un statut que j'ai à la fois espéré et tant redouté. Espéré, parce qu'au fond de moi, je crois que je savais depuis un moment, que cet enfant n'arriverait pas tout seul, pas si facilement (et puis, comme ça, on a encore plus de chance d'avoir des jumeaux, youpiiiiiiiiiiiii). Redouté, parce que franchement, c'est pas si cool que ça, d'être une VIP de la PMA. Je suis prête à passer mon tour, à laisser ma place de VIP si ça peut m'éviter tout ça. Toute cette sur-médicalisation. Une écho tous les 3 jours, une à deux piqûres tous les soirs, une prise de sang tous les 3 jours, des angoisses, des larmes, des hormones en furie, des douleurs ovariennes, des déceptions, des espoirs, des impatiences. 

Voilà donc 10 jours qu'on a passé le cap, qu'on est entré dans le cercle. Et comme on est des VIP, on est forcément médiatisé. 

Parce qu'un parcours de PMA est difficile à concilier avec une vie personnelle et professionnelle. Et puis, bon, ça nous paraissait naturel aussi de pouvoir en parler. Mais voilà, du coup, tout le monde sait tout de ton intimité. Tes collègues savent à quel stade de ton cycle et du protocole tu es... Elles sont impatientes de savoir. Ta mère angoisse encore plus que toi. Ta belle-mère espère plus que toi. 

C'est bizarre de se dire que tout le monde va savoir quand notre bébé aura été conçu. Et surtout, c'est bizarre de se dire que tout le monde saura en même temps que nous, ou presque, que la FIV a fonctionné. A moins qu'on ne dise rien. A moins qu'on mente. C'est bizarre, mais c'est inévitable. C'est le côté VIP.