lundi 17 août 2015

Le jour où j'ai commencé un vrai journal intime

Parce qu'il a beau porté le nom de journal intime ... ce blog n'est pas si intime que ça. Quoi que. Bref, c'est pas vraiment le sujet. 
Tout le monde (entier) le sait, je suis assistante sociale à l'hôpital. Et ASS à l'hôpital, c'est pas tous les jours aussi facile que ça en a l'air. Entre ceux qui te regardent de travers quand tu leur dis où tu bosses, genre hein quoi y'a besoin d'ASS à l'hôpital, mais pourquoi ? Ceux qui s'imaginent que ton boulot consiste à vider les lits à la demande des médecins en organisant des retours à domicile de mamie qui ne tiennent plus sur leurs deux pattes ... Ceux qui pensent que tu ne fais rien. L'imagination déborde. 
Moi, je suis ASS dans deux services diamétralement opposés dans leurs spécialités, mais ultra difficiles au niveau émotionnel. Hématologie et néonatalogie. 
C'est à dire que je travaille auprès de patients de 18 à 98 ans (ou plus), atteints de cancer (leucémies, lymphomes, myélomes, bref, tu sais, le vrai cancer de merde dont tu ne te sépares jamais, ou presque). Des gens comme vous et moi, à qui la vie souriait jusqu'à ce putain de diagnostic et qui, du jour au lendemain, se retrouvent en arrêt de travail pour 6 mois, un an, deux ans, trois ans, à vie. Des gens qui perdent donc la moitié de leur salaire mais qui ont une famille à nourrir. Des gens qui avaient la joie de vivre et qui se mettent à perdre leurs cheveux, la motivation. Des gens qui ont tout juste le BAC et commençaient leurs vies. Des gens qui ont des enfants, jeunes, moins jeunes, mais des enfants qui comptent sur eux. Des gens qui sont vieux, qui pensaient profiter tranquillement de leurs vieux jours et qui se retrouvent handicapés par la lourdeur de la chimio ... Bref, des gens qui n'avaient pour la plupart jamais pensé croiser un jour le chemin d'une ASS, et qui aujourd'hui, me reçoivent à bras ouverts, en espérant que je vais pouvoir apaiser un peu leur quotidien, déjà meurtri par la maladie. 
Et je travaille aussi auprès des bébés, qui sont nés trop tôt, qui vont pas forcément très bien. Certains vont vite aller mieux, d'autres vont se battre longtemps, et d'autres vont malheureusement rejoindre les anges. Je travaille auprès de leurs parents, désemparés parce qu'à mille lieues d'imaginer que leurs premiers jours de parents allaient être un enfer. Je travaille aussi auprès des mamans qui perdent leur bébé in utero, qui doivent interrompre leur grossesse déjà bien avancée, qui font des fausses couches tardives. 

Pourquoi cette longue introduction ? Pour t'expliquer ce que je vis au quotidien. Alors certes, je suis protégée. Je ne suis pas à leur place, je les accompagne et les aide. Mais je reste humaine, et malgré tout le recul que j'arrive à prendre, et heureusement d'ailleurs, il y a des choses inconscientes qui se jouent. Et si y'a un truc dans lequel je suis nulle, en ce moment, c'est arriver à prendre du recul par rapport à la maladie et au drame de la vie. 

Je le sens, qu'inconsciemment, mon cerveau est en train d'enregistrer une norme, qui n'est pas la réalité. Je la ressens au plus profond de moi, cette angoisse, et même je devrais dire cette fatalité. Parfois, dans mes cauchemars, ou même éveillée, quand j'y pense juste, je pense que c'est ça, c'est ça qui va m'arriver. 
Mon inconscient me dit qu'on finit tous avec un lymphome ou une leucémie, tôt ou tard. Enfant ou adulte, jeune ou vieux. Certes, j'ai un côté hypocondriaque, et travailler à l'hôpital n'a rien arrangé, et je le sais. Mais je ne peux m'empêcher de faire des comparaisons ... Eux aussi, allaient très bien, venaient de se marier, d'acheter une maison, de trouver un emploi, d'avoir un bébé, de voyager aux USA ... Et puis, ça leur ait arrivé. 
Dernièrement, j'ai fait un rêve qui me paraissait tellement réaliste, dans lequel j'apprenais que j'avais une leucémie, et que je me faisais soigner dans mon service, par les médecins que je cotois au quotidien. J'y ai tellement cru, que pendant 2 jours j'ai eu du mal à aller travailler, à croiser les fameux médecins, à aller à la rencontre des patients. Parce que j'avais eu l'impression d'avoir vécu l'annonce de cette merde. Comme eux, je savais. Comme eux, je savais à quel point cette annonce te bouffe la vie. 
Heureusement, mes collègues sont là. On en parle, on dédramatise. On fait beaucoup d'humour noir. Très noir. Mais on est obligé. Sinon, ça nous ronge encore plus. 

Je suis tellement imprégnée par ce quotidien auprès de la maladie, auprès du problème, que ça commence à impacter mon moral pour la conception d'un enfant. Je me suis aperçue, qu'inconsciemment, je suis persuadée qu'une grossesse se passe mal. D'une part, parce que j'ai personnellement vécu une grossesse molaire et une tumeur trophoblastique, avec chimio et tout le toutim, et que forcément à chaque jour de retard, au lieu d'espérer le "+", j'espère que si "+" il y a, le taux de Bêta HCG ne sera pas trop haut, pas comme il y a 5 ans où j'ai vécu un cauchemar. Et d'autre part, parce qu'autour de moi, je ne vois que des accouchements qui se passent mal, des naissances en urgence, prématurées. Alors, j'ai réalisé que j'étais persuadée que notre futur bébé allait naître préma et séjourner en néonat. Je me suis même fait peur, quand je me suis mise à penser que ça serait même une bonne chose, que je faisais une confiance absolue en R. et C. les pédiatres de mon service. Et ça, c'était dans le meilleur des cas. Car bien sûr, après avoir pris du temps pour réfléchir à tout ceci, je me suis aperçue qu'inconsciemment, toujours, je m'imaginais devoir subir une IMG à 7 mois de grossesse car on aurait décelé une malformation. Ou qu'à la dernière écho, on m'annoncerait que le coeur du bébé ne battait plus. 



Et j'ai réalisé que je ne pouvais plus vivre comme ça. Je ne peux plus absorber tous ces drames et en faire des faits ordinaires, des passages obligés. J'en ai beaucoup parlé avec Charmante Compagnie. Il a beau me rassurer, et même me faire rire. Il a beau me dire, pour dédramatiser, que c'est comme si lui, parce qu'il passe ses journées à réparer des serveurs informatiques HP, pensait que tous les serveurs tombent en panne. Je le sais. C'est juste que là, c'est différent. Là, y'a de l'humain, y'a des émotions, des affects. J'ai pris conscience de tout ça. J'ai pu commencer à en parler avec la psy au travail. Et je continuerai. Car je sais que ça joue sur tout ce que nous traversons actuellement avec Charmante Compagnie, pour la conception de ce futur bébé tant désiré. Je viens de faire une troisième fausse couche précoce, spontanée, et je m'aperçois que je ne suis même pas surprise. Comme si je m'y attendais, au fond. Comme si c'était la fatalité. 
Et je ne veux pas accepter la fatalité. Alors, j'ai entrepris ce nouveau combat. Je vais me libérer de ce fardeau. Et j'ai démarré une thérapie à la fois artistique et littéraire. J'ai désormais un vrai carnet intime. Dedans, j'écris, je gribouille, je scrappe. C'est mon carnet d'idées noires, mais qui parfois peut être empreint de rose. C'est mon vrai carnet intime, celui qui ne sera lu par personne d'autre que moi, afin de me libérer de ces angoisses et de me dire que la vie, parfois, peut être un long fleuve tranquille, et que souvent, les drames ne surviennent pas.

9 commentaires:

  1. Oh la la les idées noires... je croise beaucoup de victimes violences conjugales et non je rentre pas avec l idée d être un jour à leur place. Non on est là pour aider les autres à relever la tête et à avancer c est ça le social aider pour avancer... par contre il est important d être encadré par un psychologue qui lui t aide à ne pas faire d amalgame avec ta propre histoire... allez relève la tête et avance tout en sachant qu il y a un tas de pros formés pour t aider ds chaque domaine comme toi tu aides certains à avancer à un moment de leur histoire. Je t envoie des ondes positives bizzzzzzzzz

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  2. Des bisous pour t'aider à traverser tout ça, le boulot, les galères pour la conception d'un bébé....
    'Faire confiance à la vie. Oser y croire. Et rallumer les étoiles. Une à une s'il le faut".
    Bisous

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  3. Le problème à l'hôpital, c'est qu'on ne voit que des gens malades... on ne voit pas ceux qui vont bien... la majorité bien évidemment !
    Bon courage, bientôt tu verras la vie en rose (ou bleu) !
    Bises.

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    1. J'aime ton commentaire, vivi !
      Comme pour les infos, ils annoncent surtout les mauvaises nouvelles !

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  4. Petit trait d'humour et de réalisme pour te dire que ce carnet va sans doute t'aider à te libérer, délivrer... maintenant tu as la chanson de la Reine des Neiges en tête et de belles images dans ta tête.
    ;-)
    Bises et bonne journée

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  5. Désolée d'apprendre les soucis que tu rencontres, notamment pour la conception... Etant ce qu'on appelle "infertile", c'est un sujet qui me touche beaucoup. C'est bien d'avoir des gens à qui parler de tes angoisses, et un espace privé pour évacuer. Tu dois déjà le savoir mais n'hésite pas aussi à prendre en main le côté "physique", trois fausses couches cela justifie la recherche de la cause. Bon courage et je te souhaite un beau bébé très très vite.

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  6. Difficile de trouver les mots après un article tellement personnel et pas très gai. Toutefois, dans tous le gris, je vois un bout de ciel bleu. Car, quand je lis que tu as décidé d'écrire un journal intime, un vrai, je lis aussi que tu as décidé de ne rien lâcher, et ça, c'est positif. Je te souhaite (ainsi qu'à ton mari) de vois aboutir vos projets et de pouvoir lire - dans quelques mois, un an, deux ans.... - un article dans ce blog où tu nous dira ta joie de pouvoir enfin pouponner après une grossesse paisible. bises.

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  7. Il me semble que j'ai déjà laissé un commentaire sur cet article... Il n'est pas passé????
    Bon, en tout cas, je trouve que c'est super et très courageux, ce que tu fais. C'est un très beau métier, axé sur le DON, et je trouve cela admirable. Bon courage. Pense seulement au bien que tu apportes autour de toi. Bisous.

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  8. Bonjour;
    moi aussi j'ai fait récemment une grossesse molaire, je comprend alors une partie de tes douleurs, je te souhaite du bon courage, et je profite de mon passage pour laisser une adresse qui explique bien ce que c'est une grossesse molaire, c'est une maladie assez rare et méconnue.

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