C'est l'histoire d'Alphonse*.
« Bonjour Monsieur le Proc, je suis Melle Bulle, ASS en
néonat et j’vous appelle pour le petit Alphonse (bien entendu, ce n’est pas son
prénom … mais ça me fait tellement penser à la chanson …), il a un mois
aujourd’hui et ça fait un mois qu’il est hospitalisé ici. Ses parents ne sont
venus le voir que 6 fois, 10 minutes à peine à chaque fois. Oui, bien sûr
qu’ils habitent à côté … »
Alphonse, 1 mois de vie, né à 1450g, issu d’une grossesse
non désirée et peu suivie. Il commence fort dans la vie. Alphonse a un grand
frère. Sa mère nous dira même qu’elle est « trop fusionnelle avec
lui ». Vous comprendrez donc qu’elle ne peut pas le laisser pour venir
voir cet autre enfant, ce bébé né trop tôt et qui les enquiquine à être
hospitalisé. Non, elle ne peut le laisser à son père, et encore moins à une
nourrice. Tu tenteras de ne te pas t’énerver quand tu l’entendras dire que de
toute façon son bébé a les yeux fermés toute la journée et ne se rend pas
compte qu’elle n’est pas là. Tu te contenteras juste de rapporter les faits,
rien que les faits, au parquet des mineurs. Une heure de communication, avec un
Proc qui note tout : que la maman n’a pas voulu le prendre dans ses bras,
juste une fois ; que la seule fois où elle a donné le biberon, elle est partie
en plein milieu … et qui t’annonce qu’il mandate l’Aide sociale à l’enfance
pour une évaluation en urgence.
Que les parents refusent d’ouvrir à l’ASE, que finalement,
après un mandat, ils ouvrent mais ne montrent pas la chambre des enfants, et
que ta collègue de secteur fait un rapport qui fait froid dans le dos, et qui
laisse à penser que l’aîné est lui aussi en danger. Mais toi, ton job, c’est de
protéger Alphonse. Alors, juste avant de partir pour une petite semaine en
vacances avec un goût un amer en bouche, une boule à l’estomac et des pensées
noires, tu vas voir Alphonse, pour lui expliquer tout ça. Tu lui expliques que
pour le moment, ses parents ne sont pas en mesure de s’occuper de lui, mais
qu’on va veiller ici à son bien-être et qu’il ira bientôt dans un endroit où il
pourra recevoir ce dont tout bébé a besoin. Et là, il te sourit, et ouvre enfin
les yeux, lui, le petit Alphonse, le petit bébé qui se fait oublier tant il est
discret. Tu aperçois alors ses magnifiques yeux et tu ne peux t’empêcher de penser
qu’il va faire battre les cœurs de toutes les filles, et ce dès la plus tendre
enfance.
A ton retour, Alphonse est toujours là. Rien n’a changé, si
ce n’est que le Proc a ordonné un placement, et qu’aujourd’hui, Alphonse part
en pouponnière. Alors, tu prépares tout pour son départ. Quand l’auxiliaire
puéricultrice de la pouponnière arrive pour le chercher, tu découvres cependant
que ce bébé n’a pas de vêtements. Ses parents n’en ont jamais apporté.
Heureusement, l’auxiliaire en a prévu, et c’est dans un joli pyjama d’été qu’il
est prêt à sortir … Sauf que voilà. Petit Alphonse, depuis le début, est tendu.
Il a des problèmes de transit. Sans s’improviser psychiatre, nous avons
toujours mis cela sur le fait de l’absence du lien mère-bébé. Ce jour-là, Alphonse
n’a pas fait de selles depuis presque 24h.
Et, quoi de plus révélateur … quand, au moment du départ, Alphonse … se
lâche ! Un caca-atomique, digne de ce nom ! La puéricultrice de
l’unité galère, il est en flux continu ! On se marre, et même lui se marre.
Il y en a partout, sur le lit, sur le body, et on arrive à court de compresse
pour le nettoyer. Mais lui, il sourit. Il est soulagé. Il a un poids en moins …
Et c’est tout sourire qu’il se laisse alors prendre dans les bras et embarquer
à bord d’un cosy pour la pouponnière.
C’est en louchant légèrement qu’il
t’écoute lui expliquer ce qu’il va se passer, où il va aller et pourquoi … et
c’est en gerbouillonnant qu’il te dira aurevoir à sa manière, libéré de tous
ses maux. Et toi, une dernière fois, tu le fixeras droit dans les yeux, ses
beaux yeux bleus, et tu espéreras (ou pas) qu’un jour ses parents auront un
électrochoc … et feront tout, ou du moins quelque chose, pour récupérer le joli Alphonse aux yeux si bleus.
* Prénom modifié pour conserver l'anonymat
eh, non, l'instinct maternel n'est pas inné. Il ne vient pas non plus instantanément dans le coeur des mères au moment de l'accouchement. Ce n'est ni automatique, ni systématique. Heureusement que toi et tes collègues êtes là pour intervenir lorsque le lien ne se créé pas et qu'il devient évident que ni la mère ni l'enfant ne seront heureux si on les laisse ensemble.
RépondreSupprimerJe me suis investie avec émotion dans ce billet que tu as écrit magnifiquement.
RépondreSupprimerJ'ai travaillé à la protection de l'enfance , et si la souffrance morale était souvent au rendez-vous , il y a eu aussi des instants de bonheur , des espoirs .
Je souhaite à ce petit Alphonse beaucoup d'amour et de chaleur pour compenser, si l'on peut dire , son rejet.
Belle soirée , bisous.
Ton récit m'a mis les larmes aux yeux. Merci à toi de partager ces moments d'émotion, tes joies et tes peines. Et bonne route au petit Alphonse pour sa nouvelle vie.
RépondreSupprimertrès poignants tes récits, ...ce ne doit pas être simple de ne pas s'attacher à ces enfants!...et de penser à autre chose en rentrant le soir chez soi! ....tu fais un beau métier!
RépondreSupprimerlorsque l'on évolue dans des milieux "favorisés", on a du mal à imaginer tout cette misère morale!
bon courage à toi.
c'est dur à lire... car histoire vraie et c'est inimaginable pour moi... écoeurée
RépondreSupprimerAh, ça me rappelle mon 1er stage au Foyer de l'Enfance de la Gironde... juste avant Noël. Dur, très dur ! Je me suis toujours demandée comment ces enfants pourraient se reconstruire car malgré le fait qu'avec un peu de chance des parents adoptifs aimants leur donneront plein d'amour, ils n'oublieront jamais que leur maman biologique n'a pas voulu d'eux...
RépondreSupprimerCela fait de la peine
RépondreSupprimerC'est très dur
Oh, mon Dieu...!! Mais moi, je le prends tout de suite chez moi, ce petit Alphonse...!! Et je lui donnerai tout l'Amour qu'il n'a pas reçu et plus encore pour toute sa vie... Ah, si c'était si facile... Mais que va-t-il devenir ce petit être fragile et innocent? Ca fait trop mal, ton histoire... Tu as fait ce qu'il fallait, ce que tu pouvais... Mais pourquoi, pourquoi, est-il si difficile d'adopter un enfant à ceux qui désirent donner de l'amour alors que tant d'enfants en manquent??? C'est injuste! (ps: je suis l'heureuse et aimante maman de 7 enfants). Bises, Mme Bulle.
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