mardi 5 septembre 2017

Le jour où elle n'était plus là quand je suis revenue

Je me souviens d’elle, à son arrivée dans le service. C’était le début de l’été, elle venait de l’île de la Réunion, et quand je suis rentrée dans sa chambre, son sourire était aussi chaleureux que le soleil de son île, malgré la grisaille dehors. C’est d’ailleurs la première chose qu’elle m’a dit : « c’est déprimant d’arriver ici sous la pluie » et puis, elle a relativisé, en se disant que de toute façon, elle était cloîtrée dans sa chambre d’hôpital, alors autant qu’il pleuve pour ne pas regretter de ne pouvoir sortir. 



On a commencé à parler, de sa vie, laissée là-bas : un boulot, une maison, un mari et un fils. Heureusement, son mari et son fils arrivaient quinze jours plus tard, pour l’été. Ils verraient ensuite, en fonction de ses soins … mais très vite elle m’a rappelée pour me dire qu’ils restaient ici tous les 3. Deux ans de traitement en perspective. Alors, ils ont tout quitté pour s’installer ici. Son fils de 5 ans a dû s’acclimater au temps d’ici, rencontrer de nouveaux copains, découvrir une nouvelle école et vivre dans un appartement lui qui vivait dans une maison ouverte en permanence sur l’extérieur. Il a dû aussi vivre sans sa maman, la plupart du temps. Les hospitalisations étaient longues. Et puis, un jour, elles se sont espacées et même mieux, sa maman ne venait à l’hôpital qu’en ambulatoire, à la journée. Il a donc retrouvé les joies d’un petit garçon de son âge, retrouver sa maman tous les soirs à 16h30 à la sortie de l’école. 

L’hiver est arrivé et s’est bien passé. La famille de la Réunion est venue en France, soutenir la famille fragilisée par cette putain de maladie, et l’espoir de repartir un jour là-bas n’a jamais cessé. Les mois ont défilé, la maladie a failli perdre la partie mais finalement, elle est revenue dans le jeu. Revoir son nom inscrit sur le tableau blanc du bureau des infirmiers. Ne le voir jamais s’effacer et comprendre que l’hospitalisation va être à nouveau très longue.
Alors, j’ai repris les bonnes vieilles habitudes, en allant la voir tous les jours, pour parler. Elle me tutoyait, comme à la Réunion. Elle apportait son soleil à elle, malgré la souffrance énorme qu’elle ressentait, physiquement et psychologiquement. Elle ne lâchait rien. On a travaillé ensemble, elle, moi et l’assistante sociale du personnel de son mari, pour leur permettre de rester le plus possible une famille, malgré la maladie, malgré l’hospitalisation, malgré la séparation, malgré toutes les merdes qu’ils enduraient depuis des années déjà. 

Chaque jour, les nouvelles médicales changeaient, mais chaque matin, en voyant son nom sur le tableau des personnes hospitalisées, je souriais. Parce que ça voulait dire qu’elle était encore là, qu’elle avait passé la nuit. Un jour de plus. Une victoire de plus.
On parlait parfois de la mort, de sa mort. Mais de façon détournée. On évoquait l’absence mais sans réellement la nommer. En fait, c’était dur pour elle comme pour moi. Je ne voulais pas y penser, je continuais à espérer. Jusqu’à mon dernier jour avant mes vacances. Les nouvelles étaient bonnes. Elle allait pouvoir recevoir un nouveau traitement, une véritable chance de survie pour elle. Alors, je me suis à nouveau décarcassée pour organiser des tas de choses, à son domicile, pour montrer à la terre entière qu’il y avait encore de la vie, encore de l’espoir. Je suis partie ce soir-là en passant lui dire aurevoir et à la semaine prochaine. Je m’absentais si peu de temps. Sa mère était à ses côtés, on s’est adressé un sourire et je suis partie. 



Quand je suis revenue, elle n’était plus là. Elle avait été transférée deux jours avant en unité de soins palliatifs où elle s’est éteinte en toute sérénité. Son petit bonhomme, âgé de plus de 6 ans alors, a pu profiter d’elle jusqu’au bout, blotti contre elle toute la journée avant sa mort, et présent pour lui dire adieu quelques instants avant que son cœur s’arrête. Le lendemain matin, c’est lui qui a pris la main de sa grand-mère et qui l’a amenée dans le bureau de notre psychologue « ça y est, Ma maman est morte, elle est parmi les étoiles ». La force des enfants face à la mort est surprenante. Je n’oublierai jamais sa maman, elle était mon petit rayon de soleil des îles, une femme admirable.
 
 

9 commentaires:

  1. bouh, c'est trop triste, j'aime pas les histoires comme ça...

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  2. Mais c'est que tu va me faire pleurer.^^

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  3. Ton article est vraiment touchant et comme tu dis la force des enfants par rapport à la mort est surprenante, je t'embrasse bien fort <3

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  4. Sa maman était une étoile! Elle a brillé pour vous jusqu'au bout!

    J'ai une copine qui enchaîne actuellement 2 cancers, elle est maman de 3 enfants et a une force admirable. La vie n'épargne pas malheureusement...

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  5. Je pleure en lisant ton article, Marine. Je ne peux pas m'en empêcher. Merci pour ce bel hommage. Courage à toi, à sa famille. Bisous.

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  6. Très très émouvant ce billet ... ouch ...

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  7. Très bel article à la fois triste est émouvant. La phrase de ce petit garçon est magnifique. Quelle force! On ne peut être que touché par cette histoire...
    Bonne soirée
    Mimi

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  8. Ton article est très émouvant. Même s'il ravive des souvenirs. Ton témoignage est important, beaucoup de personnes ne se rendent pas compte à quel point le personnel hospitalier est important dans l'accompagnement d'une personne malade et de sa famille. Tu la considérée comme une femme pas seulement une patiente.

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  9. quel article émouvant ( en vrai là je pleure faut avouer que ça ravive des souvenirs ) c'est important de pouvoir accompagner sa maman , à tout âge :)
    bravo pour tout ce que tu fais, vraiment .

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