vendredi 20 novembre 2015

Le jour où je te parle de mes petits vieux

"Les petits vieux", les "papi-mamie". C'est totalement affectueux. 
Dans mon service, celui d'hématologie, je suis amenée à travailler énormément avec ces petits vieux. Et c'est pour moi une richesse. 
Je dois l'avouer, je ressens un paradoxe quand je suis en présence de l'un d'eux ... Je me sens à la fois toute petite, face à leur passé, à leur vie accomplie ... et je me sens à la fois la grande personne sur laquelle ils peuvent désormais s'appuyer pour continuer tranquillement le restant de chemin qu'il leur reste à parcourir. 
Parce qu'il est évident, que quand on parle avec un patient de plus de 80 ans, tout le monde sait que nous sommes plus vers la fin que le début de leur vie. Maladie ou pas. Et s'il m'est toujours difficile d'aborder une fin de vie avec un jeune patient, il devient tout à coup presque naturel d'évoquer la fin de vie d'une adorable petite mamie qui me dit, quand je lui demande son âge, qu'elle a vécu tellement de choses dans sa vie qu'elle n'aurait justement pas assez d'une vie pour me raconter tous ses souvenirs. 
Parce qu'au fond, c'est ça. Ils me font penser au cycle de la vie. Ce qui est "drôle", d'ailleurs, c'est que je travaille aussi en néonat et maternité ... avec des bébés qui démarrent tout juste leur vie. Qui n'ont encore pas de passé, pas de souvenirs, pas encore d'histoire qui forgeront leurs caractères ... 

A force de travailler auprès d'eux, j'ai classé mes petits vieux, en plusieurs catégories dont je vais te dresser les portraits ... 



Il y a donc ... commençons par le plus classique :

Cette mamie qui pourrait être tienne, mère de 2, 3 ou 4 enfants, grand-mère de 5, 7, 9 ou plus petits enfants. Un à Paris, deux sur Lyon, elle me dira ne pas les embêter avec ses problèmes car ils sont mariés, ils ont leur vie ... Elle m'expliquera qu'elle fait encore tout à la maison, seule, malgré une fatigue de plus en plus intense. Elle ne veut pas déranger. Personne. Alors, avec une voix douce et maternante, tu tenteras de la convaincre d'accepter un minimum d'aide à domicile, pour la soulager, un peu ... Elle te sera reconnaissante, même du peu que tu auras fait pour elle ... et, un peu comme ta grand-mère, elle te souhaitera d'avoir une vie aussi belle et remplie que la sienne. 

Ce papi, un peu bourru aux premiers abords, qui ne parle pas beaucoup, si ce n'est pour répondre qu'il sait pas trop. Il hoche souvent les épaules en signe de réponse. Très souvent, c'est quand sa femme arrivera que tu sauras sauvée, parce qu'elle saura te répondre. Elle te dira que oui, bien sûr, qu'elle a besoin d'aide à la maison, même si son mari n'en voit pas l'intérêt, parce qu'il n'a jamais fait quoi que ce soit ... Elle saura te dire combien touche de retraite son mari, et le nom de sa mutuelle. Elle répondra aussi à sa place quand tu lui demanderas sa date de naissance ou quand tu voudras savoir s'il mange bien tel ou tel produit. 

Ce couple de petits vieux, affaiblis tous deux par la maladie, tant qu'à faire, deux cancers, un chacun, pourquoi faire des jaloux ?! Mais qui continuent à s'aimer et à ne jamais se quitter. Ils t'expliqueront comment ils se débrouillent pour s'occuper l'un de l'autre, quand il faut laver mamie et aider papi à enfiler ses chaussettes ... Quand tu leurs proposeras une aide, certains accepteront mais la plupart te répondra qu'ils se débrouillent tous les deux et que ça leur va très bien comme ça :)

Le vieux-vieux ... celui qui tombe malade et qui était déjà plus très alerte. Celui à qui il faut trouver une place ailleurs qu'à l'hôpital, mais plus à la maison. Définitive ou pas. 
L'aider alors à accepter l'idée, celle de devoir dire aurevoir à sa maison, à sa vie d'avant ... d'accepter ce nouveau projet de vie, d'accepter ces changements. Parler alors finances, car c'est aussi malheureusement la triste réalité ... Une maison de retraite, ça coûte cher. Un bras, un rein. Et comment accepter quand on a travaillé toute sa vie, notamment pour offrir en retour un héritage à ses enfants ... que cet argent va être dépensé en quelques mois à peine dans une maison de retraite ... 

Il y a aussi la "Tatie  Danielle", cette vieille achariatre qui est maintenue en vie très certainement par son désamour de l'autre. Cette même dame qui va tout refuser en bloc, tout critiquer, qui a des demandes farfelues et inabordables, et qui t'engueule si, par malheur, tu "ne sers à rien". 

Mais il y a surtout les familles. Parce qu'au fond, travailler avec les petits vieux, c'est aussi et surtout travailler avec leurs enfants, voire petits enfants. Je me suis toujours questionnée à ce sujet, parce que parfois, je suis mal à l'aise avec ça. Pourquoi, sous prétexte qu'ils sont âgés, les enfants prennent à ce point le relais, au point de parfois, prendre eux-même des décisions qui concernent directement la personne âgée ? Mais c'est comme ça. Il y a cette sorte de passation de relais. Alors on fait avec eux, au mieux pour respecter la volonté et la dignité de la personne âgée malade ... 
Et là aussi, on a différentes familles ... les envahissantes, les conciliantes, les bienveillantes, les ultra-chiantes, les maltraitantes ... Là aussi, il faut composer avec, et parfois faire des petits rappels à l'ordre. 

Leur rappeler, qu'une personne âgée, c'est sacré. Qu'elle a une histoire, un vécu ... Qu'elle a une conscience, une volonté, et ce même avec les premiers signes d'une démence ... Qu'elle mérite qu'on la chérisse et qu'on l'accompagne de la façon la plus douce possible jusqu'à son dernier souffle. 
On est là aussi pour les soutenir, parce que ce n'est pas facile de voir ses parents vieillir. De prendre un peu leur place de parents, en devenant de façon symbolique leur tuteur. On est là pour les soutenir quand la mort se rapproche un peu plus vite, trop vite. On est là après, aussi. Parce que c'est toujours pour ceux qui restent, que c'est difficile.

Chacune de mes rencontres avec mes petits vieux me marquent. Ils apportent tous une petite part de quelque chose d'eux dans ma construction personnelle et professionnelle. Je me souviens de leurs histoires, celles qu'ils veulent bien partager avec moi. Du prénom de leurs enfants, de l'âge de leurs 9 petits enfants. J'écoute la mamie qui me parle de son amour pour son chat, qu'elle fait garder par sa voisine pendant ses hospitalisations. Et je lui parle alors de mes chats, à moi. J'entre en relation, je partage. Je vis un moment intergénérationnel. Je souris quand le papinou de la chambre 203 me dit qu'il est perdu depuis que sa femme est morte, car elle ne lui a jamais appris à se faire cuire un oeuf et que du coup, il mange depuis 3 mois que des plats préparés à réchauffer au micro-onde. J'écoute la maminette qui me fait la liste de ce qu'elle va offrir à ses enfants pour Noël, et je participe à la discussion mouvementée entre une mère de 84 ans et sa fille de 51 ans, qui évoquent des souvenirs mère-fille que tout le monde a vécu au moins une fois dans sa vie. 

Alors, pour leurs rendre hommage, je dresserai de temps à autre sur ce blog, des portraits de vieux qui m'ont marquée, d'une façon ou d'une autre ... Et c'est aussi parce qu'en ce moment, mon Pépère de 90 ans se bat pour aller mieux, après un AVC ... que j'ai envie de vous dire d'aimer vos aïeuls et de les chérir, les honorer et les respecter !!! 


2 commentaires:

  1. tes paroles sont très justes et remplies d'émotions! tu dois merveilleusement bien "tenir ton rôle"
    et tu as parfaitement raison,on a trop tendance à infantiliser les personnes âgées.C'est drôle comme la vie tourne,comme si on redevenait un BB en étant vieux....

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  2. Sublime témoignage. Je fais un copier-coller et je le rajoute à mon petit dossier bien rempli... :) Tout ce que tu dis est juste et je ressens la même chose que toi, même si je ne travaille pas auprès d'eux. J'attends avec impatience tes prochains articles "portraits"... Bisous

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