mardi 12 janvier 2016

Le jour où j'ai mal

Je ne voulais pas l'écrire, pas encore. Impression d'être dans une plainte constante qui ne fait pas avancer, pas positiver. Et pourtant, j'ai mal. J'ai une blessure ouverte à l'intérieur de moi, qui ne fait que suinter, que couler, que pleurer, et que je n'arrive plus à refermer. J'ai ce vide que rien n'arrive à combler, pas même les comprimés que j'avale et les injections qui s’immiscent dans mon corps depuis plusieurs mois déjà. J'ai l'impression que mon corps ne m'appartient plus. Qu'il appartient à des médecins, à des protocoles, à des dates. J'ai l'impression qu'on me vole une partie de moi, à chaque fois que je pousse les portes de cet endroit. Endroit que je hais autant que je l'adore, parce que je sais qu'il est notre seule chance. 
J'ai mal mais je ne pleure pas. Je n'y arrive pas. Je ne veux pas pleurer. Pas devant lui, pas devant les autres. Les autres ne comprennent pas. Malgré tout leur amour, toute leur bienveillance et les mots qui vont avec. C'est trop profond, c'est quelque chose de viscéral. Je dis pas qu'il faut l'avoir vécu pour comprendre. C'est juste trop personnel. Le mal, la douleur ... n'est jamais la même. Je retiens mes larmes, alors que je sais que je devrais les laisser couler. Je suis comme une cocotte minute sous pression, sur le point d'exploser, mais dont le joint et le couvercle tiennent encore bon. J'ai peur du débordement le jour où il n'y aura plus de résistance. J'ai peur de m'en prendre à quelqu'un qui n'aura rien demandé ... mon mari, ma mère, une amie ... qui aura juste été là au mauvais moment, et qui aura déclenché l'explosion. L'explosion du mal. 
J'ai mal, à chaque fois que je constate ce sang qui s'écoule de moi. Je me sens encore plus vide, et je pense à cet enfant qui n'est pas. Chaque mois, c'est un petit de cet enfant que je laisse échapper. Moi qui me remplis pourtant le corps d'hormones en tout genre, pour stimuler, pour favoriser, pour rien. C'est ça qui fait mal. Faire tout ça, pour rien. Mais savoir au fond de soi qu'on est obligé de passer par là. Etre persuadée que la solution est ailleurs, mais que cet ailleurs est encore long à atteindre. Espérer, à chaque fois, que Dr Mamour abordera cet ailleurs. Et avoir mal à chaque fois de constater qu'il ne faut que continuer à attendre, à patienter. La collègue du Dr Mamour, que j'appellerai Dr Sourire, elle est différente. Elle a de l'empathie et voit bien cette tristesse qui est enfuie, comme je peux. 
J'ai mal quand je vois ce que ça me fait, quand je vois ce que je deviens. J'ai mal d'envoyer bouler ma mère qui n'a de cesse de me montrer tous les exemples de copines et de copines de copines, pour qui ça a finalement marché, un jour, comme ça, par magie. Je ne crois pas en la magie. Et si je vis mal parfois le fait de devoir concevoir cet enfant par le biais de la PMA, je sais aussi au fond de moi que c'est la seule solution. Il n'y a pas que le psychologique, il y a aussi parfois des problèmes que même le psychisme ne résout pas. Marie n'est pas tombée enceinte de Jésus d'un coup de baguette magique, qu'on se le dise. Elle est bien tombée enceinte d'un coup de baguette ... mais pas magique. Bref. Je m'égare. Je ne crois même pas en Dieu. 
J'ai mal quand je m'aperçois que je suis finalement contente de ne pas avoir été là quand une ancienne collègue est passée au travail, pour nous faire un coucou et annoncer sa deuxième grossesse. Parce que je suis à un stade où je n'aurai pas réussi à masquer mon mal. Oui, je suis contente pour elle. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est la blessure qui ne fait que se réouvrir, à cet instant là. Le rappel du vide qui sommeil en nous. 
Je ne voulais pas écrire, pas ici, pas comme ça. Et pourtant, écrire est ma façon de pleurer en ce moment. De parler même. Parce que je suis fatiguée. Fatiguée que l'on me demande pour quand est prévu le bébé, parce que ça fait déjà bientôt 2 ans de mariage. Fatiguée de devoir expliquer où on en est de la PMA. Parce que ça ne veut rien dire. Ca ne parlera pas. Même à mon mari, parfois, ça ne parle pas. Il ne mesure pas tout le temps combien c'est éreintant, fatiguant, crevant ... Non, ce n'est pas juste des échos pelviennes à différents stade du cycle. Non, ce n'est pas seulement s'injecter des produits dont on ne mesure pas trop les effets. Non, ce n'est pas juste ... Ce n'est pas juste. Pourquoi nous ? Pourquoi nous ? 
J'ai mal quand je pense à tout le chemin qu'il nous reste. J'ai mal quand je vois, les matins d'écho, les femmes qui en sont déjà plus loin sur le chemin, et pour qui ça ne marche pas non plus. Je me projette. Et je me vois déjà devenue folle. 
J'ai mal, car je ne sais plus qui je suis. Les traitements me changent, me transforment. Je ne parle pas de la prise de poids, ça j'm'en fous. Je parle des émotions. Incontrôlables. Des douleurs physiques, aussi. Parce qu'elles existent, ce n'est pas que silencieux. J'ai mal et je m'en veux, quand j'ai envie de dire à une amie de se la fermer avec ses petits mots rassurants, j'ai mal et je m'en veux, quand j'ai envie de dire "tagueule" à une collègue qui me dit qu'elle me comprend, j'ai mal et je m'en veux, quand j'ai envie de ne plus rien dire, de me renfermer dans ma bulle, de ne plus parler à personne, de ne plus rien partager et savoir. 
J'ai mal, parce que je ne suis pas comme ça. Ce n'est pas ma nature. Je suis du genre battante et positive. J'ai toujours trouvé la force d'affronter ce que la vie a mis sur mon chemin. Il y a 6 ans, quand j'ai enchaîné une grossesse molaire et une tumeur trophoblastique avec de la chimio, à tout juste 22 ans, j'ai toujours serré les dents et avec ma force de vivre, j'ai réussi. Alors pourquoi là, une infertilité me met KO ? 
J'ai mal, parce que je me sens différente. Je me sens moche, à l'intérieur. Je me sens indigne de pouvoir devenir mère. Illégitime. J'ai mal d'être constamment la "tata", la "marraine", la "nanny". 
J'ai mal, merde. 


17 commentaires:

  1. Reste positive même si tu as mal à l'intérieur, je sais c'est difficile mais pense que tu vas y arriver que tout est encore possible. Courage !

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  2. Oh la la ma belle ça m'attriste de lire ça ! Ne perds pas espoir jamais. Reste positive. Je risque sûrement de prendre le même chemin que toi, ça fait 2 ans que je suis mariée, près de 3 ans que j'ai arrêté la pillule et toujours rien. Je me laisse cette année pour tomber enceinte et si rien n'arrive j'irai consulter pour voir les solutions qui s'offrent à moi, car moi aussi, j'en ai marre d'être l'éternel Tata !
    Des bisous
    Deltrey

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  3. Bon bah vas-y défoules toi, dis tout ce que tu as mal ! Tu sais pas en parler, alors écris! Aucun mot ne pourra te soigner de toute manière, je vois que comme tu le dis c'est profond et je suis bien triste pour toi car j'ai touché ce mal aussi, certainement pas comme toi, aucune femme ne le touche de la même manière face à ce problème mais je sais qu'on a plus envie d'entendre de rester forte, positive, que ça finira par arriver car ça déprime encore plus et ça culpabilise. Je ne peux rien faire pour toi, juste te lire. Tu serais prêt de moi, je pense que je ne parlerais même pas pour te réconforter, juste poser ma main sur la tienne, en attendant que ça passe... Tiens bon Melle Bulle !!!!!!!!

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  4. C est si bien exprimé, dit, écrit...c est tellement ça. .. courage Mlle Bulle j pense bien fort à toi. Bisous

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  5. J ai mal de te lire... et je ss impuissante dans mes mots je sais pas quoi écrire qui puisse au moins te faire sourire... tiens j ai fais une rime. Courage ma belle

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  6. L'essentiel, c'est toi. Et c'est bien de ne pas garder ces pensées pour toi. Si tu ne lâches pas le morceau ici, où le feras-tu ? Après, si tu as envie de dire "ta gueule", ben dis "ta gueule", moi je ne vois pas où est le problème. La violence de la réplique est à la hauteur de la violence des paroles des autres, même si contradictoirement elles se veulent bienveillantes. Et puis, c'est peut-être brut de décoffrage mais ça a le mérite d'être direct, et sans équivoque. Les personnes qui t'aiment ne s'en offusqueront pas, j'en suis sûre. Je t'embrasse :o)

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  7. Moi aussi...pas de mots pour te réconforter, ta peine est si profonde, j'ai lu, je compatis. Je t'envoie un bouquet d'ondes positives.

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  8. Oh ma belle quel billet touchant triste et si sincère, j'espère de tout coeur que vous allez réaliser ce rêve et ce désir viscéral
    Courage
    Je t'embrasse

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  9. ta souffrance me heurte!
    parfois on ne trouve pas les mots pour réconforter quelqu'un...
    mais au bout du tunnel il y a toujours la lumière. je t'embrasse

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  10. Voilà, c'est moi qui pleure pour toi...
    Courage! Tiens bon! Et si vraiment tu ne le supportes plus, si tu vois que cela te détruit, tu as le droit de tout envoyer bouler!!!
    Tu dis ne pas croire en Dieu. Soit. Mais... Peut-être devrais-tu essayer d'imaginer qu'Il existe et de t'adresser à Lui pour crier ta douleur... Selon mes traditions, c'est Lui - et Lui Seul - qui détient le pouvoir de donner la vie. Qu'as-tu à perdre, après tout?
    Essaie pour voir si ça marche... C'est toujours plus agréable que les hormones et les piqûres...
    Courage!

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  11. Ma pauvre Marine, tu as complètement le droit de dire que tu es triste, que tu es en colère et d'en avoir ras le bol ! Je pense aussi que cette douleur est trop personnelle pour que quelqu'un puisse la comprendre...j'espère juste que tu te fais chouchouter par ton cher et tendre et je croise les doigts pour que ça fonctionne enfin comme vous le souhaitez ! bises

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  12. Je peux comprendre , cela va faire 2 ans que j'attends , sans protocole et suivi médical pour l'instant...je veux faire confiance à la nature , pourtant dans la quarantaine...on ne peut pas tout maitriser...et heureusement j'ai envie de dire même si le desespoir peut se faire sentir...alors courage et patience...je te souhaite un beau +++++++++++++++++++ très prochainement

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  13. Aurélie GEOFFROY (les miss à couettes)14 janvier 2016 à 21:44

    quelle émotion de te lire, je ne vais pas ta dire que je comprends car comme tu le dis je ne l'ai pas vécu donc je ne peux pas comprendre, je ne peux qu'essayé d'imaginer quelle peut être ta douleur. Je te souhaite beaucoup de courage et j'espère de tout cœur que ça marche

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  14. Un récit très touchant, poignant même. Ma plus belle pensée pour toi ce soir...

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  15. C'est tellement touchant ce que tu écris.
    Je te fais plein de gros bisous... même si je sais que cela ne changera pas grand chose... mais je t'envoie juste une dose d'un petit réconfort.
    Courage...

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  16. Je ne te connais pas, je ne connais pas la douleur qui t'habite mais je peux te dire que tu as bien fait d'écrire ces mots là. Le chemin est long, les autres sont là même si leur aide se limite à ça. Courage. Ne perds pas espoir. J'espère qu'au bout de ce cauchemar, une belle lumière éclairera vos vies.

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  17. Comme je te comprends, contrairement à toi je pleure trop souvent alors que j'aimerais montrer que tout va bien que j'encaisse le coup que même si les vilaines sont encore une fois arrivée je continue à y croire voila 2 ans que l'on essaye d'avoir un bébé j'ai fais plusieurs fausses couches depuis plus d'un an je n'ai pas réussi a tomber enceinte je suis traitement hormonal mais rien n'y fait
    alors j'essaye de positiver j'ai d'ailleurs trouver un site de pensées positives qui peuvent agir sur notre mental pour la fécondité si ça t interesse n'hésites pas à me contacter ... le scrap c'est aussi une bonne thérapie :-)

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