samedi 9 septembre 2017

Le jour où j'ai fait le deuil de la grossesse

Dans une société où les médias  et les gens en général sacralisent la maternité, c’est quelque chose d’assez terrifiant que d’admettre avoir fait le deuil de mener un jour une grossesse à terme et donc, plus clairement, de faire le deuil d’un enfant biologique. 

Parce que si la plupart des gens te disent qu’adopter, c’est super (ils ne savent en fait pas ce que c’est, car « super » ne serait pas le terme à employer), ils continuent malgré tout à te dire qu’en plus, ils connaissent pleins de gens qui ont voulu adopter et pour qui, finalement une grossesse s’est mise en route. Comme si l’adoption était le remède miracle à l’infertilité. Navrée d’apprendre à toutes ces personnes que c’est faux. Et même statistiquement parlant, au sein des personnes qui ont un agrément pour adopter, cela représente à peine 5% des gens … Nous devons donc, encore une fois, faire comprendre aux gens que nous n’adoptons pas dans l’espoir que je tombe enceinte [Tout comme je n’étais pas en PMA juste parce que je pensais trop à ça et que si je n’y pensais plus ça marcherait]. 

Depuis maintenant deux ans que nous sommes en procédure de PMA, j’ai eu le temps de cheminer, de réfléchir, de prendre du recul. Récemment, après ma dernière fausse couche, j’ai ressenti le besoin de voir la psychologue de la PMA. Si je redoutais ce premier RDV, de peur de ne pas savoir quoi lui dire, j’en suis ressortie libérée. Parce qu’au fil de la discussion, j’ai compris quelque chose d’essentiel sur moi et mon inconscient. 



La grossesse est quelque chose que je perçois inconsciemment comme étant un événement négatif. Je m’explique. J’ai vécu tout au long de ma vie des épisodes traumatisants liés à la grossesse. L’événement marquant restera certainement celui de ma grossesse molaire, il y a maintenant 7 ans. Cela aurait pu se limiter à un curetage mais cette grossesse molaire s’est transformée en tumeur trophoblastique (1 grossesse molaire sur 2 000 en France … et 1 sur 10 000 qui se transforme en tumeur trophoblastique … la chanceuse, c’est moi !). Tout juste âgée de 22 ans, en pleine rupture, j’affrontais alors pour la première fois une maladie lourde avec des notions de mort, car qui dit tumeur, dit cancer, dit chimio, dit mort. En tout cas quand tu as 22 ans. J’ai vécu cela seule. Séparée depuis peu, mes parents habitant loin, même si j’ai eu le soutien de mes amies, je me suis malgré tout sentie seule. Mais en même temps, voulant protéger mon entourage, j’ai été à l’origine de cette solitude. J’ai eu 6 mois de traitement de chimio. Si au final, cette expérience m’a apportée beaucoup de maturité, elle a aussi laissé de grosses souffrances que j’ai donc enfoui très profondément. 

Depuis 3 ans, grossesse rime avec échec … L’échec de voir aboutir une grossesse spontanément, naturellement … L’échec de la « petite » PMA … l’échec des inséminations, puis des FIV. Mais encore plus difficile à vivre, l’échec, la fin de la grossesse quand elle a quand même démarré … A tel point que désormais, pour mon inconscient, les grossesses finissent toujours mal … Oui, je peux tomber enceinte, mais non, je ne peux pas le rester. Cela se répercute jusque dans mes rêves … ceux où je rêve que je suis enceinte, sur le point d’accoucher … mais qu’en réalité, je ne le suis pas … que j’accouche d’un poupon … un faux bébé quoi. Bref, que du négatif. Trop de négatif. Tellement d’angoisses. La psychologue m’a fait prendre conscience que ma première expérience de grossesse a été assimilée à ma première expérience de ma propre mort. 

Si je me réjouis sincèrement de l’annonce de grossesses de mon entourage, au fond de moi, une petite voix me dit d’attendre la naissance … car il y aura sûrement, au choix, une fausse couche, une mort fœtale in-utéro, une interruption médicale de grossesse pour malformation … Ouais, que du bonheur, tu l’auras compris. J’y peux rien, c’est plus fort que moi, j’ai beau lutter … en même temps, bosser en pathologie de la grossesse n’aide pas forcément à voir des grossesses « normales », avec un happy end. Je peux vous l’accorder … justement, avec la psychologue, nous travaillons là-dessus … car ce n’est pas anodin que je travaille dans ces services … (juste pour l’anecdote … le service d’hématologie où je bosse a supervisé, à l’époque, ma maladie trophoblastique … j’ai fait le rapprochement 2 ans après être arrivée dans ce service) … il faut donc que j’arrive à comprendre si c’est pour réparer quelque chose ou si c’est pour répéter … 

Quoiqu’il en soit, j’ai pu lui expliquer que lorsque nous avons décidé de nous tourner vers l’adoption, j’ai été soulagée. En effet, l’adoption supprime l’étape de la grossesse. Sans grossesse, plus de mort à mes yeux. Plus d’angoisses de ce genre. Soulagée est même un terme trop faible. Je me suis sentie comme la reine des neiges, libéréééééée, délivréééée de savoir que je deviendrai mère sans passer par la grossesse. Le plus difficile dans cette idée,  c’est de devoir renoncer à l’allaitement. 



J’ai voulu parler de tout cela avec ma mère. Après tout, des tas de choses inconscientes se passent psychologiquement dans la relation mère-fille quand cette dernière souhaite devenir mère à son tour. Seulement, je n’ai pas eu malheureusement la réaction attendue. Ma mère a mal vécu ce que je lui ai expliqué, sûrement parce qu’elle a voulu se mettre à ma place, alors que ce n’est pas possible. Chaque femme a un vécu et un ressenti différent. Elle n’a pas cessé d’essayer de me convaincre à quel point c’est merveilleux une grossesse. Je n’en doute pas, loin de là. Et je me réjouis même de partager les expériences des grossesses de mes amies. Mais pour moi, c’est autre chose de plus profond qui se vit. Et même si je continue parfois à m’imaginer ou me rêver enceinte, découvrant pleinement les joies (ou pas) de la grossesse … je suis malgré tout en paix avec moi-même et avec mon corps. J’ai dit à moi-même que je me pardonnais de ne pas pouvoir être enceinte, de ne pas le vouloir même, et que quoiqu’il arrive, je le vivrai bien. Parce qu’au fond, mon mal être vient du fait de ne pas être mère … Et on peut devenir mère autrement qu’en étant enceinte. On peut être mère autrement qu’en donnant biologiquement la vie. De savoir ça, de m’autoriser ça … m’a permis d’avancer et de faire le deuil de cette grossesse que je n’arrive pas à garder au creux de mon corps. Accepter le fait que je ne serai peut-être jamais enceinte, comprendre d’où viennent mes peurs inconscientes et pour l’exprimer à mon mari … tout ceci m’a permis de me sentir libérer d’un poids. 

[Ceci est mon ressenti et mon vécu personnel … merci de le respecter !]

20 commentaires:

  1. wahou et bah bravo , bravo pour ton chemin , bravo d'avoir réussi à te dire tout ça, bravo de l'accepter aussi . Je suis sure que tu feras une super maman quelque soit la façon dont ça arrive

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    1. Merci :) Je reste persuadée en effet que je serai mère un jour, peu importe quand et comment :) je chemine vers mon enfant !

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  2. Quel puissant et magnifique message.
    Je me reconnais dans tant de choses liées à l'adoption notamment.
    Je te rejoins en tout point sur le ressenti et sur ce que peuvent renvoyer ceux et celles qui ne savent pas (ce qu'est la PMA, ce que représente le chemin d'adoption...).
    Quant à la relation mère-fille dont tu parles, il a ajouté pour ce qui me concerne une étape dans mon propre cheminement, pas simple en effet...
    Douces pensées

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    1. Oui, ce n'est pas simple tout ça et en même temps, c'est important pour continuer à cheminer, quelque soit notre chemin et son issue.

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  3. La maternité sous quelques formes que ce soit est compliquée et réveil de nombreuses emotions qui déstabilisent. On a peu tendance à rendre tout celà idyllique mais ce n'est toujours une évidence. Bravo pour ton cheminement,et je te souhaite à toi ainsi qu'à charmante compagnie d'avancer dans vos projets.

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    1. Merci pour ton message. Je pense que notre société actuelle veut que tout cela soit idyllique, ce qui rend tout ça d'autant plus compliqué !

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  4. C'est vrai que la société est dure avec les femmes pour bien des choses et notamment la maternité et je t'admire de réussir à parler si bien de ton ressenti c'est si intime et finalement tellement tabou d'exprimer ses sentiments. Je pense moi aussi que tu feras une bonne maman quel que soit le chemin qui s'ouvrira devant toi. Gros bisous.

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    1. A force d'en parler autour de moi, je m'aperçois que je ne suis pas seule et ça fait du bien aussi. La société nous isole en nous faisant penser à un seul modèle unique ... mais le chemin vers la maternité est bien plus tortueux que la société veut nous le laisser croire !

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  5. On perçoit très bien la difficulté de ton parcours et tout le cheminement par lequel tu passes. Tu arrives à prendre du recul, analyser les choses alors tu es directement concernée, chapeau!!
    Tu es une "grande femme"!

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    1. Merci !
      Ca n'a pas toujours été aussi simple ... c'est le fruit de 3 ans de réflexions ...

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  6. tu nous as tout simplement merveilleusement bien expliqué ton ressenti et je comprends encore mieux ton enthousiasme pour l'adoption du coup... quoiqu'il arrive ou quoi que tu choisisse, moi je suis toujours derrière toi !!

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    1. Et j'espère bien t'annoncer très vite LA bonne nouvelle :)

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  7. Je suis ton blog depuis seulement quelques mois (et je te suis sur FB aussi!). Tu es, à mes yeux, extrêmement mature, généreuse et tu as fait un chemin de réflexion dont peu de gens sont capables.
    Etre mère ne se résume en effet pas à 9 mois d'attente. Les périodes de grossesse ne sont pas toujours aussi idylliques que ce qu'on voudrait nous faire croire. L'accouchement peut être une véritable épreuve pour le corps. L'allaitement aussi peut être difficile quand on a des crevasses, trop de lait, un bébé qui pleure beaucoup... J'ai eu trois enfants et mon bonheur est dans le fait d'être maman, de faire beaucoup de choses avec eux, de leur transmettre des valeurs et des connaissances, de les accompagner, de leur faire découvrir des choses, des endroits, des gens, de les voir s'émerveiller, s'ouvrir au monde, questionner...mais les 9 mois passés à les attendre ressemblent sans doute beaucoup à votre attente d'agrément à tous les deux! Imaginer votre enfant, lui choisir des vêtements, une chambre, vous projeter dans l'avenir avec lui en vous imaginant l'accueillir, le dorloter, l'emmener partout avec vous... c'est pareil!

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    1. Ton message fait totalement écho en moi. S'il y a quelques années, je me disais que la grossesse était quelque chose de primordial pour moi, aujourd'hui je sais que c'est être mère qui l'est ... être et vivre mère ! Alors merci pour ce message :)

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  8. Ton témoignage est bouleversant. Je te comprends à 100%!! Cela s'appelle un trauma, et tu n'y peux rien. Parfois la douleur, le choc, la peur sont telles que tu ne peux tout simplement pas les gérer... Je t'admire pour avoir fait ce travail de réflexion qui t'a permis de t'en sortir et de grandir pour avancer dans la vie. Je te souhaite beaucoup de bonheur et surtout que l'adoption puisse se faire très vite. Bisous. ps: tu devrais VRAIMENT écrire un livre pour raconter tout cela, tes mots prennent aux tripes...!

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    1. Et bien figure toi que j'ai mis de côté mon roman "fiction" et que je suis en train d'écrire cette histoire qui nous mène vers notre futur enfant ... :)

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  9. Bonjour Melle Bulle.
    Je te suis depuis quelque temps et ton article m'a beaucoup touchée et a trouvé un écho en moi. Car il y a quelques similitudes dans nos parcours : IMG car pré éclampsie précoce, j'ai failli y laisser ma peau et je suis devenue Mam'anges (jumeaux suite à une FIV). Alors comme toi, avec du recul, du temps, j'ai fait le deuil de la grossesse car j'avais trop peur. Aujourd'hui, nous sommes sur une procédure d'adoption comme vous. Mais assez parlé de moi. ;-)
    Merci pour ton témoignage et de le partager. Je suis désolée que tu n'aies pas eu le soutien espéré auprès de ta mère. Nos parcours sont si "particuliers" qu'il est difficile d'imaginer ce que nous pouvons ressentir. Mais nous demandons simplement de l'écoute et non des conseils...
    Bon courage à vous et au plaisir de te lire.

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    1. Je suis contente si mon message peut parler à d'autres femmes qui vivent des situations similaires !
      Je vois que tu as toi aussi un parcours très lourd et je te souhaite un beau cheminement vers votre futur enfant :)

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  10. Parfois les épreuves nous rendent plus fort et j'ai l'impression que le chemin que tu as parcouru t'as rendue plus forte ! J'espère sincèrement que vous accueillerez une enfant dans votre foyer qu'il soit adopté ou non !

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